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I

Le principe de la souveraineté populaire, si longtemps obscurci par l’idée monarchique ou féodale, a reparu dans les temps modernes sous la forme nouvelle du gouvernement parlementaire ou représentatif. Le pouvoir que le citoyen des républiques anciennes exerçait directement dans l’assemblée du peuple, il l’exerce maintenant par le droit du suffrage et par le procédé de l’élection. Des institutions représentatives sérieuses, avec le cortège de libertés nécessaires qui les accompagne, sont à la fois le signe le plus frappant de la civilisation des peuples et l’objet commun de leurs ambitions les plus légitimes. Non-seulement le gouvernement représentatif est le plus en honneur chez les hommes éclairés de notre âge, mais on peut dire qu’il est devenu la condition naturelle de toutes les nations civilisées. Cette vérité presque banale s’impose à ceux même qui la trouvent gênante, et dont le plus vif désir est de la méconnaître. Tous nos gouvernemens ont la prétention de s’appuyer sur la volonté nationale et de l’associer dans une juste mesure à la direction des affaires publiques. S’ils aiment à diminuer le rôle des assemblées représentatives, ils en conservent au moins l’apparence, et ils rendent hommage au principe qu’ils s’efforcent d’éluder. Personne n’ose plus contester l’existence même de ces conseils qui sont, pour ainsi dire, l’âme des nations modernes ; mais beaucoup de gens les considèrent comme un mal inévitable qu’il faut réduire autant que possible et contenir dans des bornes étroites, puisqu’on ne peut plus s’en délivrer tout à fait.

Que ces ennemis, de jour en jour plus rares, des institutions représentatives voient avec chagrin les progrès continuels de la démocratie moderne, rien n’est au fond plus naturel, et rien ne saurait moins nous étonner. Il serait surprenant au contraire que ceux qui craignent la liberté politique et qui ne s’y résignent qu’à la condition d’en réserver la jouissance au petit nombre ne s’élevassent pas de toutes leurs forces contre une doctrine qui se propose l’extension indéfinie du droit de suffrage à la multitude. Il n’en est pas de même de ceux qui. admirent sincèrement les institutions libres. Ceux-là ne peuvent, sans se démentir, faire une guerre de système au mouvement démocratique de notre âge. S’ils voient dans le gouvernement représentatif autre chose qu’un expédient temporaire ou une nécessité de l’époque présente, s’ils le regardent aussi comme un instrument de progrès, comme un moyen d’élever l’intelligence, la moralité et la dignité des peuples, ils doivent souhaiter avec ardeur que les bienfaits de ce gouvernement se