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dernière réforme électorale le signe avant-coureur d’une révolution sociale qui jettera leur pays dans les bras de la démagogie ou dans ceux du pouvoir absolu.

Si le danger de la démagogie était sérieux en Angleterre, ce ne serait qu’un argument de plus en faveur de la réforme. Le bon moyen de s’en préserver ne serait pas d’irriter les classes populaires par une résistance maladroite ou par de méprisantes provocations. Il ne faudrait pas alors s’indigner contre elles, si elles pensaient à se faire justice de leurs propres mains. Ces conservateurs obstinés qui repoussent avec horreur toute innovation démocratique sont en même temps les pires ennemis de la tranquillité des états et de la stabilité des trônes. Le nom de conservateurs dont ils se parent n’est pour eux qu’un titre usurpé ; les seuls qui méritent ce nom sont ceux qui défendent pied à pied les institutions établies, mais qui se souviennent qu’elles ne sont pas éternelles, et qui savent toujours reculer à temps. Les partisans du système de l’immobilité ressemblent à des gens qui se posteraient sur la plage à l’heure où la marée monte, et qui se flatteraient de l’intimider par de beaux discours. C’est leur faute si le flot les renverse et si la démocratie leur passe sur le corps. Quand un gouvernement s’oppose à une innovation légitime dont il aurait pu se réserver l’honneur, l’opinion publique alors s’en empare et se charge de la faire triompher malgré lui. Les conservateurs anglais viennent de faire eux-mêmes l’expérience du danger auquel on s’expose en marchandant les concessions lorsque l’opinion publique est mûre et persiste à les obtenir. Sans les déclamations des adversaires de la réforme et les longues hésitations du parlement, l’opinion publique anglaise aurait été satisfaite à bien meilleur marché. Si les conservateurs avaient adopté dès l’origine les mesures si modérées que proposait le ministère libéral, ils ne se seraient pas vus contraints de soutenir eux-mêmes l’année suivante une loi beaucoup plus radicale. Leur victoire sur les libéraux ressemble à celles que le roi Pyrrhus remportait sur le peuple romain. Il n’en faudrait pas beaucoup de pareilles pour annuler toute leur influence et pour les effacer du nombre des partis ; mais en sacrifiant leurs préjugés et leurs répugnances, ils n’ont manqué ni aux obligations que leur nom leur impose, ni aux traditions de leurs devanciers dans ce qu’elles ont de respectable et de sensé. Ils ont bien fait de ne pas s’obstiner dans une résistance qui aurait été fatale et à la tranquillité de l’Angleterre et à l’intérêt légitime du grand parti conservateur.

La réforme anglaise n’est donc pas, comme on l’annonce, le signal d’une révolution ; elle ne mérite ni la douleur profonde qu’elle inspire chez nous à certains amis de l’ordre, gens effrayés