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de convaincre quand vous le désirerez. Enfin, quand vous resteriez tel que vous êtes, seriez-vous dans une autre position que Malouet, dont les lettres sont oubliées, et pensez-vous qu’en politique, dans un pays tel que celui-ci, rien dure plus de six mois ? — Vous savez que je suis républicaine, et vous me savez très vive dans tout ce que je suis : je vous atteste que votre lettre ne m’a point étonnée, que je l’ai trouvée naturelle dans votre situation et qu’elle n’a rien changé à l’opinion que j’avais de vous. Je vois la même manière de penser dans les autres. Ne vous affligez donc-pas et venez nous voir. Vous ne savez pas combien vous serez remonté par l’affection de vos amis. Vous passerez l’été à Saint-Ouen, vous y ferez un bon ouvrage et tout ira bien. — Adieu, mon cher Camille, songez quelquefois à mon amitié pour vous, si vous vous souvenez encore que vous me trouviez aimable. »


C’est encore à cette première saison et comme à ce printemps de l’amitié que je crois pouvoir rapporter le petit billet suivant, qui n’est pas sans coquetterie et qui sent le gracieux prélude :

« Vous vous entendez bien aux rendez-vous romanesques : vous arrivez une heure avant et vous ne revenez pas. Allons ! il ne faut plus vous en donner.

« Gérando et vous, voulez-vous venir dîner avec moi à cinq heures précises ? Nous irons ensuite ensemble voir la pièce qui me touche le plus, le Philosophe sans le savoir, où j’ai une loge où je vous mène — loge grillée ; monsieur Camille, votre incognito sera respecté. — Dites à Gérando que je me plains de lui. Il vient quand il sait que je n’y suis pas. »


Et dans une lettre à Degérando lui-même, qu’elle lui adressait de Coppet : « En écrivant à Camille Jordan dites-lui que j’aime quelqu’un à Genève, seulement de ce qu’il lui ressemble un peu. »

L’écrit marquant que Mme de Staël désirait pour Camille, et qui devait dissiper les nuages du passé en le classant décidément dans son vrai parti, il ne tarda pas à le produire : c’est la brochure de 60 pages intitulée Vrai sens du vote national sur le consulat à vie, qui est de 1802. L’écrit parut d’abord sans nom d’auteur ; mais la première édition ayant été saisie et l’imprimeur (ou celui qui avait remis la copie à l’imprimeur) ayant été inquiété où même incarcéré, Camille Jordan crut devoir se faire connaître, et l’affaire n’eut point d’autres suites.

On a souvent posé cette question et exprimé ce regret : pourquoi le premier consul n’est-il pas resté consul, pourquoi a-t-il poussé si vite ses destinées jusqu’à l’empire ? pourquoi n’a-t-il point assis la France sur la base modérée du consulat ? et qu’aurait-il eu à