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forme allongée, dont les tresses épaisses étaient séparées par une raie soigneusement faite, qui se perdait dans un fouillis de petits cheveux frisés couvrant la nuque. — Rien, répéta-t-elle en se pelotonnant de nouveau.

— Personne ! dit le lieutenant. Je puis donc… Il étendit la main et la retira aussitôt ; une goutte de sang se voyait sur son doigt. Quelle bêtise, s’écria-t-il en secouant la main, toujours vos éternelles épingles ! Mais quelle maudite épingle est-ce cela ? ajouta-t-il en voyant une espèce de dard en or qu’elle replaçait dans sa ceinture. C’est un poignard, c’est un aiguillon. Et toi, tu es une guêpe, entends-tu, une guêpe !

Colibri sembla goûter fort la comparaison du lieutenant ; elle rit de son petit rire cristallin. — Oui, je piquerai… je piquerai.

Yergounof la regarda de travers. Elle rit, pensa-t-il, et le visage reste toujours triste. Regarde un peu ceci, ajouta-t-il à voix haute.

— Quoi ? demanda Colibri avec son expression enfantine.

— Ceci, et le lieutenant tira de sa poche la petite croix d’or, qu’il fit briller en la tournant en l’air entre ses doigts. C’est joli, n’est-ce pas ?

Colibri leva les yeux d’un air d’indifférence.

— Ah ! une croix, dit-elle, nous n’en portons pas.

— Comment ! vous ne portez pas de croix ! Tu es donc une Juive ou une Turque ?

— Nous n’en portons pas, répéta Colibri ; puis, se levant tout à coup et regardant en arrière, par-dessus son épaule : — Voulez-vous que je chante ? Je vais chanter.

Le lieutenant remit précipitamment la croix dans sa poche et se retourna aussi, car il avait cru entendre une sorte de craquement dans le mur. — Quel bruit fait-on là ?

— Souris, souris ! se hâta de répondre Colibri ; puis de la façon la plus inopinée pour le lieutenant, elle lui enlaça la tête de ses bras souples et lisses, et d’un rapide baiser lui brûla la joue comme avec un fer rouge. Il serra Colibri à son tour ; mais elle glissa de son étreinte comme un serpent, chose facile avec sa taille mince et onduleuse. — Attends, attends, dit-elle à voix basse. Auparavant du café…

— Quelle idée ! Après…

— Non, tout de suite, à présent brûlant, froid plus tard.

Elle saisit la cafetière par l’anse, et se mit à verser de haut dans les deux tasses. Le café tombait en jet tordu et fumant, et Colibri, penchant la tête sur son épaule, le regardait tomber. Yergounof jeta un morceau de sucre dans la tasse, qu’il avala d’un trait. Le