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fabriques, et, alliés plus tard à des familles anglaises, achetèrent des domaines considérables. D’autres parvinrent très vite aux honneurs et aux charges publiques. Des trois frères Blanket, qui introduisirent de l’autre côté du détroit l’art de faire des couvertures de laine, l’un devint dès 1349 bailli de Bristol, tandis que les deux autres représentèrent cette même ville au parlement. L’Angleterre sait où trouver ses hommes et les récompense selon leurs mérites ; c’est une de ses forces.

La politique d’Édouard III fut suivie par quelques-uns de ses successeurs. M. Smiles indique avec précision la date de chaque branche d’industrie implantée dans la Grande-Bretagne par des étrangers. Jusqu’au XVIe siècle, ces immigrations étaient sollicitées, obtenues par des moyens diplomatiques ; mais on touchait au moment où l’Angleterre allait s’enrichir sans efforts de nos fautes et de nos désastres. Luther avait parlé, la raison humaine réclamait sa part d’examen dans les questions religieuses. Toute l’Europe se montrait agitée par le vent des nouvelles doctrines, et l’heure des persécutions avait sonné. Parmi les grands états qui combattirent à outrance le protestantisme se distinguèrent au premier rang l’Espagne et la France. Il nous faut rechercher ce que l’une et l’autre ont gagné ou perdu à ce système de résistance.

On connaît le caractère de Philippe II et les atrocités du duc d’Albe. Ce qui n’avait point encore été mis suffisamment en relief, c’est la condition des exilés volontaires qui abandonnèrent alors les Pays-Bas, couverts d’échafauds et de bûchers. L’émigration commença en 1550, sous le règne d’Edouard VI d’Angleterre, et se continua toujours croissante sous celui d’Elisabeth. La duchesse de Parme écrivait à Philippe II (1567) : « En quelques jours, cent mille hommes ont quitté les Flandres, enlevant avec eux leur argent et leurs effets ; bien d’autres se disposent à les suivre. » De l’argent, ils en avaient peu, ils laissaient derrière eux leurs terres et leurs maisons ; mais ils emportaient ce que l’argent ne peut acheter, leur industrie, leur habileté personnelle, la science d’un état ou d’une profession utile. C’étaient pour la plupart les meilleurs ouvriers et les chefs de fabrique les plus intelligens. Qui émigre en pareil cas ? Les forts, les entreprenans, les hommes de caractère et de volonté ; les autres, c’est-à-dire tous ceux qui n’ont point confiance en eux-mêmes, restent où ils sont et s’attachent avec une sorte de désespoir à la terre natale, cette terre fût-elle noyée de sang. N’est-ce point ce qui fait encore aujourd’hui la force des États-Unis d’Amérique ? Les émigrans qui traversent l’Atlantique peuvent être pauvres, dénués, ce sont le plus souvent les vaincus du vieux monde ; mais leur foi dans l’avenir est demeurée indomptable, et ils ont en eux-mêmes tout ce qu’il faut pour réparer leur défaite sur le champ