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l’inquisition et aussi le dépit que causait au maître de l’Espagne le refus obstiné d’une femme hautaine et courageuse auraient déterminé Philippe II à lancer contre l’Angleterre sa fameuse Armada. Cette expédition peut bien avoir été résolue par plus d’un motif ; admettons pourtant que les passions religieuses n’ont point été étrangères à la lutte.

Tout le monde sait quel fut le sort de la flotte espagnole, et comment cette fois les vents et la fortune se tournèrent du côté du droit. Le point de vue de l’écrivain anglais a du moins le mérite de présenter sous un nouveau jour le caractère d’Elisabeth. Certes elle avait trop du sang de Henri VIII dans les veines pour être proposée comme un modèle de tolérance, plus d’un acte de son règne se montre en désaccord avec sa noble conduite envers les sectaires étrangers ; comment toutefois ne pas lui savoir gré de la fermeté toute virile qu’elle déploya pour défendre dans son royaume les droits de la pensée et les devoirs de l’hospitalité contre l’intervention armée des états catholiques ? Que serait-il advenu de la liberté de conscience, et quel eût été le sort des proscrits au sein de la Grande-Bretagne, si la belle Marie Stuart avait réussi dans un des complots qu’elle tramait ou qu’on tramait en son nom contre son impérieuse cousine ? La protection accordée par Elisabeth aux étrangers qui avaient souffert dans leur pays pour leur foi religieuse était-elle, d’un autre côté, tout à fait désintéressée ? Il entrait, je le crois fermement, bien moins de fanatisme que de calcul dans le respect qu’elle professait pour l’asile de la chrétienté, asylum Christi. Elle savait très bien que ces fugitifs apportaient avec eux les arts qui manquaient alors à son royaume. Le hasard ou, pour mieux dire, la haine aussi absurde que féroce des souverains étrangers contre leurs sujets hérétiques lui donnait ce que ses prédécesseurs sur le trône de la Grande-Bretagne avaient toujours poursuivi et atteint seulement à de rares intervalles par d’assez grands sacrifices : l’industrie des nations les plus laborieuses et les plus prospères du monde venait gratuitement s’offrir à la reine-vierge, maiden queen. Qu’on compare d’ailleurs sa politique à celle de Philippe II, et qu’on juge de l’une et de l’autre par les fruits qu’elles ont portés.

Le système d’extermination et les mesures déployées contre les hérétiques avaient réussi au-delà de tout espoir. Les Flandres étaient presque un désert, a Les bêtes sauvages, dit un historien du temps, couraient le pays, et les louves venaient allaiter leurs petits dans les fermes abandonnées par les paysans. » Le duc d’Albe avait lieu d’être fier : ses armées avaient détruit l’industrie, le commerce, et réduit les catholiques eux-mêmes à la pauvreté. En