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rassemblent, immédiatement jaillit la question, de la valeur et de l’avenir de la Russie… Ils pressent, ils sucent, ils mâchent cette malheureuse question comme font les enfans de la gomme élastique… et avec le même résultat. Ils ne savent y toucher, bien entendu, sans tomber aussitôt sur la pourriture de l’Occident. Il nous bat sur tous les points, cet Occident, et il est pourri ! Et encore si réellement nous le méprisions ; mais tout cela n’est que phrases et mensonges… » Rien n’est plus spirituellement vrai ; seulement, en faisant vibrer cette corde, le radicalisme a eu l’air de s’identifie avec un instinct national dont il s’est fait une force. Une autre cause de la rapide propagation du nihilisme, et celle-là, est la tragique moralité de l’histoire de la Russie dans ces dernières années, c’est la politique même du gouvernement dans les affaires polonaises. Cette guerre de destruction sociale organisée. contre la Pologne a évidemment communiqué aux forces démocratiques de l’intérieur de l’empire une intensité redoutable. Le gouvernement s’est trouvé fatalement conduit à se servir pour son œuvre du radicalisme, dont il prenait les doctrines, et par une combinaison singulière ; ils s’est placé dans cette situation où il n’était pas toujours suivi par les conservateurs et où il acceptait l’alliance de tout ce qu’il y avait de révolutionnaire en Russie. Les nihilistes n’ont craint nullement de revêtir l’uniforme du tchinovnik pour aller porter l’idée en Pologne. Ils ont fini par remplir l’administration des provinces polonaises et par s’infiltrer jusque dans celle de quelques-unes des provinces russes. Ils avaient l’avantage de se populariser en s’associant à une violente passion nationale et de pousser au triomphe de leurs idées à L’abri de la politique officielle.

Tant que le gouvernement ne trouvait dans les nihilistes que des instrument pour son œuvre en Pologne ou des alliés contre une noblesse à demi libérale et récalcitrante, c’était bien. On avertissait quelquefois leurs journaux lorsqu’ils parlaient trop lestement de la famille et du mariage ; mais cette étrange alliance n’était pas rompue. La jour où le nihilisme apparaissait sous la figure d’un Karakosof, gouvernement et société en Russie ressentaient une commotion profonde, comme un mouvement d’effroi, en présence d’un abîme qui s’ouvrait tout à coup, et M. Katkof n’était pas le dernier à pousser le cri d’alarme, au risque de mettre un peu tout le monde en cause. Il avait commencé par accuser les Polonais, et il n’a même jamais été bien persuadé de s’être trompé sur ce point. Bientôt il se tournait contre les nihilistes ; mais cela ne pouvait évidemment lui suffire. M. Katkof est un homme à idées fixes, et il ne négligeait pas l’occasion de pousser la guerre contre ses adversaires de Pétersbourg. Il poursuivait d’allusions menaçantes M. Golovnine,