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faite par le comité central des patrons de l’industrie du bâtiment, et que nous trouvons dans le Journal de Lausanne. « Vous qui avez travaillé à Genève, dit ce document, avez-vous besoin, pour adresser aux patrons les réclamations que vous pensez justes et fondées, de la tutelle d’une société étrangère ?… Pourquoi opposer les intérêts des ouvriers à ceux des patrons ? Ces intérêts sont les mêmes. Combien d’entre vous deviendront patrons, un jour ? Combien d’entre nous étaient hier ouvriers ? Oublierons-nous ces liens, et plus encore ceux qui dans notre pays libre doivent unir tous les citoyens ? Ne saurons-nous pas repousser de notre sein les élémens de division qu’on nous apporte et qu’on soutient avec l’argent de l’étranger ?… Sachez vous réunir pour résister à la tyrannie d’une société ; sachez leur opposer la libre manifestation de votre volonté ; vous tous, ouvriers indépendans, ouvriers libres, sachez faire usage de votre liberté ; faites connaître votre opinion, et prouvez que l’Association internationale ne représente qu’une infime minorité dont les menaces et les violences ne peuvent pas vous intimider. »

Ce mot d’Association internationale nous ramène en France, et nous avertit d’appliquer à nous-mêmes les réflexions que nous faisons sur l’agitation des classes ouvrières en Belgique et en Suisse. Un procès curieux est venu tout récemment appeler sur l’Association internationale l’attention du public. Les affiliés français de cette société, qui s’étend à différens pays de l’Europe, et qui a, dit-on, son siège principal en Angleterre, avaient pendant assez longtemps été tolérés en France. Ils ont même prétendu, sans être contredits, qu’ils avaient été accueillis par l’autorité avec une sorte de faveur. Ils ont été condamnés sans rigueur, et nous devons même faire la remarque ou l’éloge des égards qu’ils ont rencontrés devant la justice. Pourquoi donc ont-ils été poursuivis après avoir été tolérés ? Parce que leur existence comme association non reconnue par l’état était contraire à la loi, et que leur existence créait un précédent dont d’autres sociétés auraient pu se prévaloir.

Nous n’avons aucune envie de traiter la question de droit que soulève l’existence de l’Association internationale et de son affiliation française ; nous voulons seulement faire quelques observations sur la situation réciproque des classes ouvrières, des classes commerçantes ou lettrées et enfin du gouvernement. Nous sommes persuadés que la meilleure politique gouvernementale et surtout la meilleure politique sociale serait de laisser les classes ouvrières et les classes commerçantes ou lettrées s’arranger entre elles, sans aucune intervention de l’autorité. Il y aura toujours en ce monde des riches et des pauvres, la liberté crée naturellement l’inégalité ; mais tout ce qui sépare systématiquement ou par calcul d’habileté politique les riches des pauvres ne fait qu’augmenter le mal au lieu de le diminuer. La sociabilité humaine, la charité chrétienne, qui est la forme la plus pure et la meilleure de sociabilité, les