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plus que le passé ? Le malheur sert à quelque chose ; il a une brutale puissance faite pour dompter ou pour éclairer les gouvernemens et les peuples. Si la politique autrichienne n’avait pas subi à quelques années d’intervalle de si décisives et si humiliantes épreuves, elle ne serait peut-être pas aussi libérale qu’elle l’est aujourd’hui ; elle ne chercherait pas dans la liberté sa sauvegarde, sa garantie, en même temps que l’instrument d’une régénération nécessaire. Et d’un autre côté, si l’Autriche s’était faite libérale plus tôt, si elle eût persévéré, si elle eût montré plus de suite dans les tentatives de réformation constitutionnelle qu’elle a renouvelées plusieurs fois, en 1848 et au lendemain de la guerre d’Italie, elle eût sans doute évité les cruels revers qui l’ont frappée. Justement ce concordat de 1855, qui est aujourd’hui en cause, est-ce qu’il n’a pas été une des plus graves erreurs de la politique autrichienne, une des causes les plus directes, les plus immédiates de l’affaiblissement de la domination impériale en Italie ? Et comme il avait été fait surtout pour étayer cette domination, pour intéresser l’église à sa durée, il s’ensuit que le jour où ce calcul a été trompé, où l’Autriche a dû quitter l’Italie, le concordat n’a plus eu en quelque sorte de raison d’être ; il est retombé de tout son poids sur la situation intérieure de l’empire ; il est apparu uniquement comme un obstacle à tout progrès politique et civil.

Le président du conseil, le comte Auersperg, disait récemment en pleine chambre des seigneurs que l’Autriche avait risqué de se dissoudre deux fois déjà, à Solferino et à Kœniggraëtz, pour avoir reculé devant la nécessité de sa régénération constitutionnelle, qu’elle en était aujourd’hui à sa troisième expérience, et il ajoutait : « Si les hommes des anciennes périodes avaient encore le courage de mener à bout leurs desseins, alors la clôture de cette dernière période prendrait un nom que j’ose à peine prononcer : ce serait la dissolution de l’empire. — Ce danger nous menace-t-il réellement ? Oui, le danger de la dissolution existe par le maintien du concordat… » Et ce sentiment est celui de tous les libéraux de l’empire. De là cette passion avec laquelle le concordat de 1855 a été choisi comme champ de bataille entre les partis. Pour les uns, c’est le palladium de la politique conservatrice ; c’est de plus une convention internationale à laquelle on ne peut toucher que d’accord avec le saint-siège ; pour les autres, c’est une œuvre d’absolutisme, paralysant tout effort libéral, confisquant les droits de la société civile. Cette situation n’est pas absolument nouvelle sans doute ; ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui en Autriche, c’est que le gouvernement lui-même est dans le camp libéral, et s’il donne le signal de l’abolition spontanée et directe du concordat, c’est que sans doute il connaît mieux que personne l’inutilité d’une négociation avec Rome.

C’est cette situation qui vient d’apparaître dans la récente discussion sur la loi du mariage civil au sein de la chambre des seigneurs de Vienne.