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direction forte et sage qui est nécessaire à sa durée. Elle seule peut lui enseigner la persévérance, la modération, l’esprit de conduite, et introduire un ordre rigoureux jusque dans les plus libres manifestations de la vie nationale. Plus une démocratie est ignorante, capricieuse, inexpérimentée, inhabile à se conduire elle-même et à gouverner directement les affaires, plus il est nécessaire que l’organisation des partis soit indépendante et forte. Qui ne sait en effet que dans les armées la valeur personnelle des hommes importe moins que l’esprit de corps et l’habitude de la discipline, qu’il suffit d’avoir de bons cadres pour former rapidement de bons soldats ? Les partis sont comme des cadres qui enveloppent et soutiennent les citoyens dans la vie publique. Supprimez-les ou empêchez-les de naître, et la démocratie n’est plus qu’une poussière qui prend aisément l’empreinte qu’on lui donne, mais qui ne la garde pas plus d’une heure et qui se disperse au premier coup de vent. Le prestige d’une dictature fondée sur un grand nom, la lassitude générale qui succède toujours aux révolutions, la puissance d’un gouvernement qui a rassemblé sous sa main toutes les forces d’une nation, pourraient y maintenir quelque temps un ordre extérieur et une obéissance un peu machinale ; mais en face du parti du gouvernement, toujours organisé, toujours compacte, toujours armé jusqu’aux dents contre un ennemi souvent imaginaire, il n’y aurait rien que des factions obscures, incapables de guider l’opinion publique, impuissantes à la rallier sous leur bannière, bonnes tout au plus dans l’heure du danger à ajouter par leurs divisions stériles à la confusion du pays. Si par malheur le colosse commençait à chanceler sur sa base, si la majorité, longtemps craintive ou confiante, commençait enfin à douter de sa force, faudrait-il donc qu’il entraînât la société tout entière dans sa ruine ? C’est ce qui arriverait infailliblement, si à la force armée du pouvoir on n’opposait la force morale des grands partis politiques, si à côté de l’organisation administrative et officielle on ne trouvait, pour ainsi dire, un gouvernement de rechange, prêt à succéder aux droits et aux devoirs de celui qui aurait succombé. Alors au contraire les gouvernemens auraient plus de solidité et de souplesse ; un changement de politique n’amènerait pas toujours le bouleversement des institutions nationales, et quand même la force des choses rendrait un pareil malheur inévitable, le pays saurait bien trouver dans l’organisation toujours vivante des deux ou trois partis qui le divisent de quoi échapper à ces redoutables interrègnes qui sont le grand danger des révolutions.

L’organisation des partis n’est pas seulement le correctif nécessaire des défauts de la démocratie, elle en est aussi le seul remède