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revint avec elle ; la France mesura avec épouvante l’abîme où elle avait roulé, elle chercha partout un refuge, et elle n’en trouva pas d’autre que celui du pouvoir absolu.

C’est qu’alors en effet, pour ceux qui ne voulaient pas de la liberté, la dictature était le seul refuge, et aujourd’hui encore il n’y en a pas d’autre. Ceux qui se flatteraient de pouvoir échapper au gouvernement absolu sans accepter franchement la démocratie avec toutes ses conséquences les plus radicales, ceux-là sont dans une illusion bien grande et seront cruellement détrompés. A quelle tradition ou à quel système espèrent-ils donc se rattacher ? Nous avons encore chez nous beaucoup de préjugés et de rancunes, nous n’avons malheureusement plus de traditions. Nous ressemblons à un terrain ravagé où poussent beaucoup d’herbes folles et de rejetons obstinés et inutiles, mais que n’ombrage aucun grand arbre qui puisse nous servir d’abri. Nous n’avons plus qu’à y passer bravement la charrue, et à y répandre à pleines mains la semence de la démocratie future. Par quel coup d’état ou quel stratagème nos conservateurs espéreraient-ils encore se délivrer du suffrage universel ? Quel débris vermoulu du passé voudraient-ils exhumer pour mettre à sa place ? Par quelle maladroite restauration de l’ancien régime, par quelle invention nouvelle et chimérique pourraient-ils échapper aux lois de l’égalité moderne ? Est-ce par les listes de notabilité du consulat et de l’empire ? par les collèges départementaux de 1815 ? par les censitaires de 1817 ou de 1830 ? — Est-ce même par les trois journées de travail de la première assemblée constituante, ou par cette loi d’exclusion du 31 mai, si modérée, mais si compromettante et si inutile, que les assemblées de la seconde république ont essayé d’imposer à la démocratie dans l’intérêt même de son indépendance et de son honnêteté ? Qui oserait aujourd’hui rien proposer de semblable ? Tous ces systèmes ont été condamnés, soit par la raison, soit par l’histoire. Nous avons assisté à trop d’essais et d’avortemens de tout genre pour tenter de nous rattacher encore à quelqu’un de ces bâtons flottans. En moins de quatre-vingts ans, la France a traversé plus de douze lois électorales. Elle a passé tour à tour de l’absolutisme de la vieille monarchie au règne absolu de la démocratie, puis de nouveau la démocratie a fait place au despotisme du premier empire, et la liberté n’est revenue qu’à la faveur de l’oligarchie. Le suffrage universel a été appelé à voter des constitutions, à nommer des dictateurs et des dynasties, et il se voit encore interdire l’élection de ses magistrats municipaux ! Rien n’égale le désordre et la confusion de notre histoire, si ce n’est la mobilité et l’inconséquence de notre génie. Au lieu de nous cramponner timidement aux épaves des régimes détruits et de nous engloutir de gaîté de cœur dans leur naufrage irréparable, il faut