Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/817

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surhumaine, pour ne pas dire plus faible ou plus douce. Autant la révolution de 1848 avait été plus bénigne que l’autre, autant la réaction devait à son tour être moins forte. Le second empire n’avait pas les compensations de la gloire militaire à offrir à la France pour lui faire oublier la liberté. Né seulement des discordes civiles, il n’avait pas le même prestige que s’il avait réclamé la dictature pour prix du salut de la France et de l’humiliation de l’Europe. Si quelques patriotes belliqueux ont cru qu’il allait nous rendre les jours brillans d’Austerlitz et d’Iéna, ils doivent être détrompés à l’heure présente. Ce n’était pas là ce que le pays demandait à l’élu du 10 décembre ; ce ne pouvait pas être, comme on dit, sa mission historique. Elle était contenue, ce nous semble, dans ces paroles mémorables et malheureusement trop oubliées : « l’empire, c’est la paix. » Sa plus grande faute, si jamais il en a commis quelqu’une, est d’avoir dévié trop souvent de ce programme encore si populaire. Couronné au lendemain d’une révolution qui avait fait beaucoup de bruit dans le monde, mais qui n’avait rien ébranlé ni rien détruit d’essentiel dans la société française, et dont le plus grand tort était d’avoir fait peur, — à peu de distance d’une monarchie pacifique et libérale dont les souvenirs étaient encore tout vivans, il n’avait rien à réparer ni à reconstruire, et son rôle naturel devait consister simplement à rassurer les intérêts follement effrayés. Le premier empire avait été la dictature de la gloire, le second devait être celle des intérêts matériels. Issu d’une république dont il se disait le continuateur, son principal mérite aux yeux de la France était de concilier la forme des institutions démocratiques qu’on n’osait abolir avec la profonde tranquillité dont on était alors si avide. Pour légitimer enfin sa dictature temporaire et pour la faire respecter du reste du monde, il ne lui suffisait pas d’avoir la force ou même l’assentiment silencieux de la France, il devait encore appuyer son pouvoir sur ce principe démocratique qu’il était appelé lui-même à contenir ; il devait lui faire dans ses institutions une place permanente afin de prouver qu’il n’était pas infidèle à son origine et qu’il ne craignait pas le regard du peuple. Le premier empire avait simplement supprimé les institutions représentatives, le second se contenta de les affaiblir et d’en diminuer le rôle. Le premier empire s’arrogeait lui-même hardiment la nomination des assemblées chargées de préparer et de voter les lois, le second se contenta de limiter leurs attributions et de s’emparer indirectement du pouvoir électoral. Là, où le premier empire commandait en maître, le second louvoyait et insinuait ; là où le premier empire tranchait avec son sabre, le second frappait tout au plus avec le plat de l’épée ; le premier gouvernait surtout par l’autorité militaire, le second par l’influence administrative. Voilà pourquoi le