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1er août était précisément le jour où, sur les ordres venus du ministère de la police, Pie VII avait été, au grand désappointement des habitans de la cité dauphinoise, brusquement transporté hors de leurs murs. En voyant la date de cette lettre et le nom de la ville d’où elle était écrite, les lecteurs assidus de la feuille officielle s’imaginèrent sans doute qu’ils allaient enfin apprendre quelque chose sur le grand événement auquel chacun s’intéressait autour d’eux. Quelle ne dut pas être la surprise de tous et l’indignation de quelques-uns quand tombèrent sous leurs yeux les lignes que voici : « Les esprits sont ici très préoccupés du passage, dans la commune de Bornin, commune traversée par le pape lors de son arrivée à Grenoble, d’un animal inconnu, que les traces qu’il a laissées font présumer être un reptile d’une grosseur extraordinaire ! » Suivaient pendant une demi-page les détails les plus circonstanciés sur le chemin parcouru par le reptile, qui, après avoir occupé à un si haut degré l’attention publique, avait fini, au dire de la feuille officielle, par s’aller perdre dans un torrent[1]. On ne sait en vérité que penser et que dire quand on voit des ministres honorés de la confiance de Napoléon, de cet homme de génie qui avait fait tant et de si grandes choses, qui à l’heure même en accomplissait de si extraordinaires en Allemagne, quoique désormais sans profit et déjà dangereuses pour la patrie, s’abaisser, afin de lui complaire, jusqu’à des ruses aussi grossières. Telle est pourtant la misère fondamentale des pouvoirs absolus, qu’ils ne peuvent, au faîte même de la fortune, se décider à laisser libre cours à la vérité. C’est leur honte d’être obligés d’employer parfois pour la dissimuler les plus misérables subterfuges, et c’est aussi leur châtiment que, surpris tôt ou tard dans ces bas manèges, ils en sont considérablement diminués, et deviennent aux yeux de la postérité non plus seulement odieux, mais ridicules.


II

Il y avait cependant une cause sérieuse, d’autant plus inavouée qu’elle était plus personnelle, à la mauvaise humeur qu’avait inspirée à l’empereur l’apparition momentanée du saint-père sur le sol de l’empire français. Lorsque, dans sa correspondance datée de Schœnbrunn, il dénonçait à ses ministres ce qu’il appelait couramment la démence de Pie VII, lorsque, dans les lettres mêmes où il rendait justice à l’honnêteté de ses sentimens, il n’hésitait pas à le traiter de prêtre ignorant et fanatique, Napoléon ne cédait pas exclusivement à l’impatience qu’excitait en lui la prolongation de ses

  1. Moniteur du 9 août 1809, p. 221.