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soit plutôt que, sans vouloir prendre actuellement de parti contre elle, il lui répugnât de rendre plus indissoluble un engagement que la politique pouvait plus tard lui conseiller de rompre ; mais sa mauvaise humeur n’avait pas été de longue durée. Somme toute, il restait profondément et sincèrement attaché à cette femme pleine, de charmes et de grâce, qui s’était donnée à lui quand rien ne faisait encore présager sa prodigieuse fortune. Il se rappelait combien les nombreuses relations sociales de la veuve du comte de Beauharnais, son esprit charmant et sa douceur conciliante avaient servi à aplanir au début les difficultés semées sur sa route. N’était-ce pas elle qui, sous le directoire et pendant les premières années du consulat, avait su grouper avec tant d’art autour de lui nombre de gens autrefois attachés à l’ancienne cour, maintenant heureux de se servir d’elle comme du plus gracieux intermédiaire pour ménager leur paix avec le régime nouveau ? elle encore qui plus tard avait retenu autour de lui, quand il était monté sur le trône, tant de révolutionnaires mécontens et difficiles à courber sous le joug ? Plus d’une fois, repoussant les insinuations répétées de ses frères, Napoléon, avec une sorte d’instinct superstitieux qui lui fut toujours assez naturel, et que les événemens n’ont que trop justifié, s’était plu à leur représenter Joséphine comme un bon génie chargé de veiller sur sa destinée et d’en détourner les orages. Rien de plus sincère que ces témoignages rendus par l’empereur à la séduisante compagne qui, malgré des torts réciproques, restait encore la première de ses affections, mais rien de plus extraordinaire aussi que la nature des relations établies entre les deux époux, et qui semblaient emprunter quelque chose à la bizarrerie de leur destinée. Éminemment nécessaires l’un à l’autre, ils n’avaient pas craint en plus d’une occasion de prendre leur entourage pour confident et pour témoin de leurs brouilles domestiques. Restée en France pendant la campagne d’Égypte, Joséphine avait si peu dissimulé les distractions qu’elle s’était permises, que Napoléon fut sur le point de rompre complètement avec elle. Depuis ce moment, où la leçon avait failli être si sévère, elle avait encore commis plus d’une imprudence, ce qui ne l’empêchait nullement de se montrer à son égard pleine de jalousie. Napoléon supportait sans trop d’impatience ses scènes de dépit ; il avait pris son parti de les provoquer sans cesse et de ne s’en fâcher jamais. Ce furent des préoccupations d’un autre genre qui peu à peu modifièrent le cours de ses idées et le déterminèrent à se choisir une nouvelle compagne parmi les familles souveraines qui régnaient alors en Europe. A quel instant précis cette résolution fut-elle arrêtée dans son esprit ? Aucun membre de sa famille, aucune des personnes admises dans son intimité ne l’a jamais pu dire, car il avait depuis quatre ou cinq ans