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Aucun des engagement pris en 1858 n’avait été tenu. Pour ce qui était de l’impôt, il pesait moins Lourdement sur les Crétois que sur d’autres groupes chrétiens ; mais-là où, en échange de ce qu’il perçoit sur la propriété et sur le travail, l’état n’assure aucun avantage aux contribuables, l’impôt peut et doit toujours paraître exagéré, injuste, oppressif. L’impôt, quand celui qui le touche n’en fait pas profiter ceux qui le paient, n’est qu’une exaction. A y bien réfléchir, s’il y a quelque chose d’étonnant, ce n’est point que les Crétois aient semblé vouloir repousser toutes les taxes autres que la dîme et l’impôt militaire, c’est que les sujets du sultan consentent à verser un para dans ses caisses. Admettons avec le grand-vizir, dans sa réponse à la pétition des Crétois, que la Crète fût moins surchargée que d’autres provinces de l’empire ; pour peu qu’elle payât, c’était toujours trop, puisque, comme on dit familièrement, elle n’en avait pas pour son argent. Depuis que l’Europe est intervenue pour remettre la Porte en possession de la Crète, le sultan a pris plus d’une fois envers les chrétiens en général et plus particulièrement envers les habitans de la Crète des engagemens que les puissances ont contre-signés. Comment ces engagemens ont été tenus, c’est ce que nous apprend la pétition des Crétois, commentée point par point et confirmée en grande partie par notre consul à La Canée dans une intéressante dépêche que notre gouvernement a jugé bon de rendre publique.

La Crète n’a pas une route ; chaque fonte de neige emporte quelques lambeaux des vieilles chaussées vénitiennes qui servent encore, partout ou elles existent, à traverser les marais. Quant aux ponts, ce qui en reste est dans les rivières ; lorsque les torrens sont à sec, on y distingue parmi les blocs de rochers qu’ont apportés les grandes eaux, les fondations des piles helléniques et les débris encore imposans des arches écroulées. — Mais, dira-t-on, une des causes du mécontentement qui aboutit au soulèvement de 1858 contre Véli-Pacha, ce fut la tentative qu’avait faite ce gouverneur pour doter l’île d’un système de routes carrossables. Il faut s’entendre : les Grecs crétois sont trop intelligens, ils connaissent ou ils devinent trop bien les services que rendent les chemins pour ne pas vivement désirer que des routes charretières viennent relier aux rivages les plateaux de leur île et rapprocher la côte méridionale, sur laquelle s’ouvre leur plus fertile vallée, la Messara, de la côte septentrionale, qui seule a des ports pour les navires de commerce. Si le projet de Véli a si mal réussi, c’est qu’il était mal conçu. Ce qui séduisait le gouverneur, ce qu’il voulait faire à grand renfort de corvées, c’était une large voie qui conduisît de La Canée à Rétimo et à Candie. Or, pour aller de l’une à l’autre de ces villes, n’avait-on pas la mer ? Le pacha, il faut le dire, souffrait