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d’abord, le rassemblement se porta, vers le commencement de mai, à Périvolia, dans le voisinage de La Canée. Les chrétiens réunis en ce lieu étaient d’abord au nombre de 200 ou 300 ; le pacha leur envoya des notables grecs pris parmi les membres du medjilis pour leur demander ce qu’ils voulaient et les inviter à se disperser. Tout en faisant voir qu’ils étaient sans armes et en protestant de leurs intentions pacifiques, les chrétiens déclarèrent qu’ils ne se sépareraient point avant que les députés des provinces orientales ne les eussent rejoints, que tous ensemble n’eussent arrêté les termes de la requête au sultan, et que la réponse ne leur fût parvenue. Les membres de la commission, quoique plusieurs d’entre eux fussent les familiers du pacha ne purent s’empêcher d’être frappés de ce qu’ils trouvèrent là de calme et ferme résolution ; ils se virent amenés à répondre qu’ils n’avaient rien à dire, si l’on se bornait à rester paisiblement réunis en attendant que la Porte eût fait justice. Aussi à leur retour, quand ils durent avouer dans quels termes ils s’étaient exprimés, furent-ils fort mal reçus par le gouverneur.

Quelques jours après, les paysans étaient déjà 2,500, et leurs chefs, encouragés par l’attitude de quelques-uns des consuls de La Canée, ne craignaient pas de mettre 74 noms au bas d’une pièce intitulée Pétition de l’assemblée des Crétois, que recevaient le pacha et tous les consuls. Tout en conservant les formes extérieures du respect, ils y annonçaient leur intention de rester réunis jusqu’à nouvel ordre ; ils protestaient contre les intentions qu’on leur attribuait, et déclaraient d’un ton déjà menaçant que, si les musulmans quittaient leurs propriétés sous l’influence de terreurs imaginaires pour se réfugier dans les villes, « les chrétiens repoussaient toute responsabilité que l’on voudrait essayer de faire peser sur eux à propos des dommages que pourraient éprouver les biens ainsi délaissés. » Ils terminaient « en suppliant humblement son excellence de vouloir bien accuser réception de cette pièce. » C’était déjà traiter avec le gouverneur de puissance à puissance. Le 14 mai, d’après notre consul, les paysans rassemblés étaient plus de 3,000, et l’on commençait à voir parmi eux un groupe de Sfakiotes dont la présence faisait sensation. Nous avons dit ailleurs ce que c’était que les Sfakiotes, montagnards indomptés qui habitent une sorte de forteresse naturelle sur le versant méridional des Monts-Blancs. Dans les rangs de cette foule, les hommes armés devenaient de plus en plus nombreux. Pour préserver de la disette et dédommager ceux qui avaient ainsi quitté leurs maisons et leurs champs, des souscriptions se recueillaient en ville, on quêtait après l’office dans les églises, presque sous les yeux du pacha.

Que faisait cependant le gouverneur, que faisait la Porte ? Rien. Ismaïl-Pacha restait sans instructions. On ne savait ni effrayer en