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mouvementées. Mon cousin, un des associés du Sketching-Club, est cité pour la promptitude de son travail. Il ne fit pourtant, ce jour-là, que commencer le bout du nez de Dauphin, tant l’occupèrent les menus préparatifs du dessin de Cora, sa palette à faire, ses pinceaux à nettoyer, et les conseils dont il l’accablait sur le ton à choisir, la perspective à ménager, etc. Véritablement la destinée du révérend Augustine ne me parut point enviable, aussi longtemps que j’eus sous les yeux ce groupe charmant d’un beau jeune homme à demi couché sur la mousse auprès d’une jolie paysagiste toute disposée à l’écouter, soit qu’il lui parlât peinture, soit qu’il lui tînt des propos encore plus intéressans. Cette chère Glencora, qui d’ordinaire ne laissait point chômer sa langue, fut, ce jour-là, très réservée et très silencieuse.

Villars lisait The Princess à mistress Levison et à une autre belle dame. J’écoutai aussi longtemps que mon attention le permit les beaux vers de Tennyson, mais enfin le besoin de fumer me força de me retirer à distance suffisante pour ne pas empester la compagnie, et par conséquent trop loin pour entendre le reste de la lecture. J’eus pour compensation le dialogue suivant entre Cora et mon cousin.

— Vraiment non… Je ne me soucie plus d’être élu… Depuis mon arrivée, j’ai complètement changé à cet égard.

— L’air de Cantitborough vous aurait-il bleui ?

— Pas précisément ; mais la pensée qu’une fois hors d’ici je serai complètement oublié par tout ce que j’y laisse d’aimable me fait souhaiter de n’y jamais remettre les pieds…

Bon ! pensai-je à part moi, voilà Fitz en pleine mélancolie ! La pauvre Cora va-t-elle s’y laisser prendre ? et ne saurait-elle deviner qu’il en dira tout autant le mois prochain à qui voudra l’écouter ?

— Accordez-moi cette esquisse, continua le tentateur, qui de la main gauche, la seule qu’il eût de libre, ravageait autour de lui les hautes fougères… C’est peut-être demander trop, mais je voudrais emporter un souvenir de ces journées que je n’oublierai jamais, auxquelles vous ne penserez jamais.

— Êtes-vous bien sûr de ce que vous dites là ?

L’occasion était belle pour prendre une revanche de la scène à laquelle il avait assisté la veille. De son bras droit, attirant vers lui la belle indécise : — Voyons, murmura Fitz, vous allez me promettre…

Mais Cora était déjà debout, et ses crayons, son album, sa boîte à couleurs, s’éparpillaient en tombant autour d’elle. — Chut, monsieur !… Ne me parlez point ainsi !… Je n’ai pas le droit de vous écouter… Vous ne savez peut-être pas…