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— Je verrai, je verrai. C’est ce qui reste à savoir.

— Vous le verrez, mon brave, mais pas aujourd’hui par exemple… Nous n’avons pas encore ouvert nos salons… Cora est à Sandslope, vous savez, ce petit village au bord de la mer ? Je l’y ai conduite hier, et je vais y retourner au grand galop, pour qu’elle ne me croie pas mangé par les Bleus et les Jaunes de commun accord. Quant à vous, Beauclerc, ne vous désolez point. Nous aurons ici même notre revanche électorale, et cette fois vous me verrez à l’état de candidat sérieux.

— N’importe ! vous ne m’empêcherez pas de trouver votre femme un peu chère… Quatre mille…

— Cinq cent livres, quinze shillings, huit deniers… C’est entendu… Mais je vous assure qu’elle les vaut.

Il le croyait alors ; il le croit encore, ce cher cousin. Le fait est que lorsque nous fûmes admis à voir mistress Fitzhardinge, quelques semaines après l’élection, elle trouva moyen, par son gracieux repentir, d’apaiser le farouche avocat, à qui elle promit de ne déranger Fitz en aucune manière quand il viendrait, une autre fois, briguer le suffrage des Cantitburghers, Beauclerc avait justement appris qu’une pétition se signait contre l’élection de Hoop Smith, ce qui ouvrait à ses espérances un vaste et prochain horizon. Le bruit courait aussi que le vieux Barnardiston commençait à regretter d’avoir trop cavalièrement apprécié un mariage qui plaçait sa fille en si bon rang.

Caroline épousa bientôt Whitechurch. On prétend que dans l’intimité du ménage ils se querellent nuit et jour ; mais ils savent garder les dehors, et distribuent en commun, avec toutes les apparences de la plus parfaite harmonie, de fort grosses brochures et d’imperceptibles globules à leurs paroissiens doublement infortunés.

Beauclerc vient d’obtenir, par le crédit de Fitz, une place de recorder qui comble son ambition. Quant à Fitz lui-même, la dernière lettre que j’aie de lui me le signale partant pour la côte d’Asie, dans un yacht de plaisance, en compagnie de trois ou quatre « bons camarades. » Cora, dit-il, est gaie comme un rayon de soleil, et, d’accord avec lui sur ce point, trouve les bosquets des îles ioniennes infiniment plus parfumés que les rives de la Tamise au pied des murailles de Saint-Stephen.


E.-D. FORGUES.