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zèle, qu’il dirigeait de ses conseils, et que l’on appela plus tard, comme, d’un titre d’honneur, les hommes de Henry Lawrence. Entre tous, on comptait au premier rang son frère John, le vice-roi de l’Inde actuel, qui devait donner sur le même terrain la juste mesure de ses grands talens.

C’est à cette époque que l’homme de bien dont nous racontons l’histoire put réaliser un des rêves de sa jeunesse en créant une institution charitable qui fut assurément l’œuvre la plus méritoire de sa carrière. Le soldat anglais est souvent marié et emmène aux colonies sa femme et ses enfans. En parcourant les garnisons de la péninsule, Henry Lawrence avait été douloureusement ému du sort de ces pauvres petits êtres, pâles, languissans, épuisés par le climat, corrompus par les tristes exemples de la vie commune des casernes. Encore jeune, il s’était dit qu’il serait humain de les arracher à une atmosphère impure et malsaine en les transférant de la plaine dans les montagnes, en les réunissant dans des asiles où ils recevraient l’instruction et recouvreraient la santé du corps. Le traitement splendide dont il jouissait à Lahore lui permit de créer auprès de Simlah, sur les derniers contre-forts de l’Himalaya, une maison de ce genre. L’asile Lawrence existe encore. Le gouvernement anglais en a pris depuis les dépenses à sa charge, mais en lui laissant, comme un légitime hommage, le nom du bienfaisant fondateur.

Deux années de travail assidu dans le conseil de régence du Pendjab avaient épuisé les forces de Henry Lawrence. Le repos lui était nécessaire. Il revenait en Europe avec lord Hardinge au commencement de 1848. Les révolutions qui agitaient cette partie du monde ne lui importaient guère ; mais à peine était-il arrivé dans sa patrie, que de graves nouvelles vinrent le rappeler à la vie active. Le Pendjab était en feu ; les Sikhs s’étaient soulevés contre le conseil de régence. Habitués à être régis avec rudesse, ils avaient pris pour de la faiblesse le régime doux et tolérant auquel ils avaient été soumis depuis leur défaite. La répression ne se fit pas attendre. Après la bataille de Chillianwallah, où l’armée anglaise perdit deux canons et quatre drapeaux, la victoire de Goujerat consomma la ruine des révoltés. Sir Henry Lawrence, — ce titre honorifique venait de lui être conféré, — se retrouvait à Lahore pour assister à l’annexion définitive du Pendjab. On en avait assez des gouvernemens indigènes. Le résident se transformait en président d’un conseil d’administration auquel la gestion de la nouvelle province britannique était dévolue. Au fond, c’était la même chose, moins la présence d’un rajah natif dont le pouvoir était anéanti depuis longtemps.