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où semblerait régner un souffle plus favorable, on ne se laisse aller à l’heureuse influence qu’avec une certaine réserve, avec une certaine disposition à s’inquiéter de tout, en se tenant aux aguets et en s’attendant toujours à de l’imprévu. Il faut bien en prendre son parti, et s’aguerrir à ces perplexités. Il n’est pas moins vrai que pour le moment, dans ce conflit permanent d’impressions qui est un des plus curieux caractères du temps, ce sont les optimistes qui ont raison, ce sont les pessimistes qui ont l’humeur par trop sombre, qui ont tout l’air de prendre des fantômes pour des réalités. À l’heure présente, la politique proprement dite, la grande politique qui a la prétention de décider par la paix ou par la guerre de la destinée des peuples, cette politique semble provisoirement en congé. Chaque état en est plus ou moins à s’occuper de ses affaires de ménage, de sa vie intérieure, surtout des finances, qui sont en vérité la partie douloureuse et faible de toutes les situations, et c’est ainsi que nous-mêmes en France, à défaut de la campagne sur le Rhin, nous sommes engagés dans une vraie campagne économique dont le prix est la prospérité matérielle du pays, qui nous apparaît à travers une série de discussions parlementaires animant et surchargeant à la fois cette fin de session législative. Il n’y a point encore un mois, c’était le régime commercial de la France qui était au sein du corps législatif l’objet du débat le plus sérieux, le plus passionné et le plus profond. Dans quelques jours, ce seront les finances qui auront leur tour, qui seront scrutées, interrogées avec la même animation sans doute à l’occasion du budget et de l’emprunt ou des comptes de la ville de Paris. Aujourd’hui, c’est le système des voies de communication, chemins de fer, chemins vicinaux, qu’on vient de discuter, qu’on discute encore. En peu de temps, c’est toute la situation matérielle de la France qui apparaît sous ses trois faces principales, dans ses élémens essentiels.

Le développement des chemins de fer rentre évidemment dans le programme économique que s’est tracé le gouvernement, et dont il poursuit l’exécution avec une persistance qui ne s’arrête ni devant les difficultés ni même le plus souvent devant l’excès des dépenses. Ce n’est pas seulement une conséquence du nouveau régime commercial établi en 1860, et qui créait naturellement l’obligation de mettre l’industrie française en mesure de soutenir la lutte à laquelle elle tétait provoquée ; c’est de plus une nécessité générale reconnue pour la France, qui ne peut rester au-dessous des autres pays. Sans doute, si on ne s’arrête d’une manière absolue qu’au chiffre kilométrique qui représente l’ensemble de notre réseau, la France n’est devancée que par l’Angleterre ; si on compare ce chiffre à la superficie du territoire et à la population, elle ne vient qu’après la Belgique, la Hollande, la Suisse, sans parler de l’Angleterre, qui marche toujours en tête dans cette carrière du progrès industriel. Ce n’est pas que la France soit restée inactive ; elle compte aujourd’hui, il