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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/1023

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plus dangereuses conséquence politiques ; elle a une gravité exceptionnelle dans la situation où est aujourd’hui l’Orient. Une première question s’élève, c’est celle de l’hérédité. Le prince Michel ne laisse point d’enfans pour lui succéder ; il ne laisse qu’un neveu qui était ces jours derniers encore à Paris et qu’on essaie de proclamer comme prince souverain à Belgrade, mais dont les titres peuvent être assurément contestés. À défaut de cet enfant, de cet héritier problématique, qui sera appelé à la couronne ? Ce ne sera pas sans doute un prince étranger, les Serbes, dans la fierté de leur sentiment national, ne l’accepteraient pas probablement. D’un autre côté, les candidats nationaux à la couronne n’apparaissent pas à première vue ; c’est dire qu’il n’y a pas de personnalité saillante faite pour ce rôle. On a parlé, d’une combinaison qui appellerait le prince de Monténégro au trône de Serbie, et qui aurait ainsi pour résultat la fusion des deux pays ; mais cette combinaison, si elle était admise par les Serbes, amènerait infailliblement une insurrection dans les provinces turques voisines, en d’autres termes, elle mettrait le feu à la question d’Orient. Au premier moment, il s’est formé à Belgrade un gouvernement provisoire qui garderai sans doute le pouvoir en attendant un vote du pays et peut-être, aussi une intervention de la diplomatie ; mais ce n’est pas seulement sous ce rapport que la mort du prince Michel Obrenovitch est un malheur. La Serbie, ainsi que toutes les régions orientales, est le théâtre d’une lutte permanente d’influences, d’idées, de passions, où la Russie joue le rôle le plus actif, comme patronne des Slaves. Le prince Michel était un habile, modérateur dans ces luttes, il ne se laissait pas imposer une ingérence étrangère, et dans son patriotisme intelligent il ne pouvait comprendre qu’on voulût secouer le joug de la Turquie pour retomber sous le joug de la Russie. Son programme était le maintien de la nationalité serbe. Depuis quelque temps surtout, depuis les bruyantes équipées de la propagande slave, le prince Michel s’était éloigné de la Russie dont il redoutait les menées, et il s’était plutôt rapproché de l’Autriche. Son ambition au fond était de maintenir la paix chez lui, et, s’il s’était armé dans ces derniers temps, c’était pour se défendre plutôt que pour prendre l’initiative d’une guerre orientale. Maintenant que va-t-il arriver ? La Russie va-t-elle profiter du vide laissé par la mort du prince Michel pour faire prévaloir son influence à la faveur des partisans nombreux qu’elle compte en Serbie ? La lutte des partis va-t-elle renaître, et replonger ce pays dans les agitations ? Ce sont là les questions, que soulève cette mort imprévue. Ce n’est rien peut-être qu’un incident douloureux, et c’est peut-être aussi la question d’Orient qui se relève dans le sang, versé par un meurtrier. ch. de mazade.