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grande puissance. Persécutée sous Valérien, elle avait acquis sous l’indolent Gallien une importance officielle : elle avait pris rang parmi les corporationes licitæ ou associations reconnues. C’était un pas immense, et en dehors comme en dedans de la chrétienté les esprits perspicaces pouvaient déjà prévoir le moment où l’église épiscopale et l’empire s’apercevraient enfin qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Seuls, quelques opiniâtres, dans les rangs militaires surtout, persistaient à croire que le salut de l’empire exigeait qu’on déclarât une guerre à mort à la religion nouvelle. L’esprit militaire, quand il se mêle de religion, est volontiers très conservateur, et Aurélien était avant tout un militaire. D’assez basse extraction, venu d’une de ces provinces arriérées où les vieilles croyances avaient encore tout leur prestige, il fut scandalisé en voyant l’incrédulité qui régnait au sein des hautes classes païennes de Rome. Un jour, il se fâcha sérieusement contre le sénat, qui, à la veille d’une campagne en Germanie, n’avait pas cru nécessaire de déférer à la coutume antique en consultant les livres sibyllins. Il paraît même qu’il méditait une persécution générale des chrétiens, lorsque la mort (275) l’empêcha de donner suite à ce projet ; mais en 272 son plan n’était pas encore mûr, d’autres intérêts pressans réclamaient tous ses soins, et son unique désir fut de comprimer tous les fermens d’agitation. Avec ses sentimens de vieux païen, il ne se souciait guère d’intervenir dans le débat théologique dont Antioche était le théâtre ; aussi ne s’en mêla-t-il point. La sentence qu’il prononça fut toute politique. Paul de Samosate avait été l’ami de Zénobie, cela suffisait pour qu’il déplût à l’empereur. Il était prudent de le remplacer par un homme plus dévoué aux intérêts romains, et, sans se douter bien certainement de la grandeur future de l’édifice dont il posait une des premières pierres, il déclara qu’il ne souffrirait d’autre évêque chrétien à Antioche que celui qui serait d’accord avec les évêques de Rome et d’Italie ; ceux-là ne songeraient jamais à se détacher du vieux giron romain, et l’empereur au surplus les avait toujours sous la main.

Paul de Samosate dut céder à la force et se retirer dans l’obscurité. On ne sait où ni quand il mourut. Les passions personnelles que son ministère avait mises en jeu s’éteignirent. Les causes générales qui favorisaient les progrès de la doctrine opposée à la sienne continuèrent d’exercer leur action. Le grand duel entre l’église et l’état sous Dioclétien, si promptement suivi de leurs fiançailles et bientôt de leur mariage sous Constantin, absorba tous les esprits. La population syrienne, bien qu’améliorée par l’influence chrétienne, était trop molle pour résister avec énergie à la double pression de l’autorité impériale et de l’épiscopat. Paul fut donc