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nase au siège d’Alexandrie et grand pourfendeur du paganisme. Les croisés le trouvèrent canonisé là-bas et rapportèrent pieusement sa légende en Occident, où il eut l’honneur de devenir le patron de l’Angleterre ; mais ne le dites pas aux puséistes de la haute église, ils ne vous le pardonneraient jamais. Avoir un arien pour patron, est-il rien de plus choquant au monde ?

L’arianisme périt à son tour par les mêmes raisons qui expliquent la défaite des doctrines unitaires antérieures. Le courant des idées chrétiennes était contre lui, et, si l’unitarisme est redevenu fort depuis bientôt trois siècles, c’est que la chrétienté, prise dans son ensemble, suit depuis trois siècles une direction opposée à celle qu’elle suivit dans sa première période d’existence. Sans discuter la valeur dogmatique des systèmes, nous pouvons résumer en deux mots cette lente évolution : la chrétienté depuis trois siècles, chez les catholiques et chez les protestans, bien que d’un pas inégal, devient de plus en plus laïque ; pendant les premiers siècles, elle se fit de plus en plus cléricale. Or l’unitarisme est laïque. Il cadre mal avec le mysticisme ardent, les langueurs spirituelles, les désespérances morales, qui fournissent toujours aux sacerdoces leur meilleur point d’appui dans la conscience des masses. Il part du principe que ce n’est pas Dieu qui s’abaisse, que c’est l’homme qui s’élève. C’est une religion de foi profonde dans la nature de l’homme et sa destinée. Aussi n’a-t-il de nos jours fructifié nulle part aussi bien que dans la république américaine. Son écueil, c’est la sécheresse ; ses qualités sont le sérieux moral, un caractère social, philanthropique, rationnel, et l’amour de la lumière. Si le christianisme de Paul de Samosate eût triomphé au m’siècle, ni l’ascétisme, ni par conséquent le monachisme, n’eussent fleuri dans la chrétienté. Il n’y eût pas eu de différence essentielle entre le clerc et le laïque, et les devoirs du citoyen eussent été comptés parmi les premiers devoirs du chrétien. Cela eût amené, je pense, quelques changemens dans l’histoire. Il est vrai, l’historien, malgré ses regrets ou ses préférences, doit dire avec le poète :


Puisque ces choses sont, c’est qu’il faut qu’elles soient.


Mais, comme à Zénobie dans sa retraite de Tibur, il doit lui être permis de se consoler des réalités en refaisant parfois les beaux rêves du passé.


Albert Réville.