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On remarquera au cabinet des médailles de Paris deux camées qui représentent Germanicus : d’abord un petit camée[1] où la tête, qui n’a que 2 centimètres de hauteur, est d’une grande finesse, pleine de douceur, d’une expression calme, ensuite un autre plus grand et justement célèbre[2]. Rapporté de Constantinople par le cardinal Humbert, il a appartenu pendant plusieurs siècles à l’abbaye de Saint-Èvre, à Toul. Au temps de Louis XIV, on l’a entouré de roses et d’une monture émaillée qui en rehausse la beauté. Ce camée représente Germanicus la tête nue, la poitrine couverte de l’égide; de la main droite il tient le bâton augural, à la crosse recourbée, de la main gauche une corne d’abondance, symbole des bienfaits qu’on attendait de lui. Il est assis sur un aigle immense dont les ailes sont dressées vers le ciel, dont les pattes posent encore sur la terre et étreignent une palme, signe de victoire. Ces ailes sont grandioses et d’un jet hardi : les trois couches de l’onyx, savamment dégradées par le graveur, leur donnent de la couleur et des plans divers; elles cachent une partie du corps de Germanicus, prêt à se laisser emporter vers l’olympe, tandis qu’une Victoire ailée s’approche pour lui ceindre une couronne. Le sentiment général indique énergiquement le sujet, qui est l’apothéose. La composition est pleine d’une noblesse vraiment sculpturale, c’est un des plus magnifiques camées qu’aient produits les graveurs de l’antiquité; il frappe par sa grandeur tout à fait idéale, car il est évident que Germanicus doit à l’artiste une beauté que ni Auguste ni Tibère n’ont reçue de leurs plus célèbres graveurs. On dirait que l’âme de tout un peuple a passé dans ce monument, ou du moins que le souffle de tout un parti et l’ardeur des honnêtes gens qui le composaient ont échauffé l’artiste et lui ont imprimé un élan supérieur à celui qu’il avait trouvé jusque-là en lui-même, tant il est vrai que, dans les arts, l’amour fait plus que la faveur et la conviction plus que l’intérêt.

Telle est l’image exacte et idéale tour à tour de celui qu’on peut appeler les délices du peuple romain. Le peuple romain était destiné à des amours courtes et malheureuses, selon l’expression touchante de Tacite : breves et infaustos populi romani amores. Aussi ce portrait serait-il incomplet, si nous n’ajoutions dans l’ombre, comme fond du tableau, la haine de Tibère, qui grandit avec la popularité de Germanicus, la haine de Livie, qui n’avait jamais aimé Drusus, et qui détestait surtout Agrippine, femme de Germanicus, enfin la violence d’Agrippine elle-même, petite-fille d’Auguste, fille du farouche Agrippa et de cette Julie, si passionnée et si in-

  1. N° 207.
  2. N° 209.