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phénomène et n’atteint pas les principales. Au lieu de dire que le degré d’excellence des manières peut se mesurer sur le degré d’obéissance d’un peuple, il serait plus juste de dire que la politesse d’une nation est toujours en rapport avec l’ancienneté de sa civilisation. Tout le secret de la politesse orientale consiste dans ce fait que la civilisation des peuples de l’Orient a son origine dans la nuit des temps. L’ancienneté de l’action règle le geste de la main, la démarche du corps, l’intonation de la voix. En outre la politesse des manières est et sera partout un signe infaillible qu’une société est non plus à l’état fluide et de formation, mais à l’état concret et de fixité, qu’elle a trouvé ses lois et son code moral, que les droits réciproques de chacun sont définitivement arrêtés et reconnus. La déférence arrive dans une société lorsque les divers groupes de citoyens qui la composent ont cessé de chicaner sur les limites de leurs droits réciproques, de même que les propriétaires voisins vivent en bonne intelligence lorsque les limites de leurs champs sont nettement tracées. Enfin elle est une preuve que l’individu est arrivé à cet état de perfection difficile qui consiste à mettre sa volonté propre d’accord avec les volontés des autres, qu’il a pris l’habitude de la contrainte morale, source de la sociabilité, qu’il est parvenu à faire de cette contrainte, qui d’abord fut un effort douloureux, une grâce et un plaisir. Si les manières sont moins parfaites en Occident qu’en Orient, c’est que les sociétés européennes sont moins anciennes que les sociétés asiatiques ; si les manières américaines ont moins de grâce que les manières européennes, c’est que la société est d’un côté de l’Océan en voie de formation, tandis que de l’autre elle a depuis longtemps atteint sa croissance définitive ; si dans quelques-unes de nos sociétés européennes enfin la politesse est moins grande qu’autrefois, c’est que ces sociétés ont changé de formes, que dans ce nouvel état les droits et les devoirs nouveaux des citoyens sont encore mal arrêtés, et que l’individu n’a pas eu encore le temps d’apprendre cette contrainte morale qui est la racine de toute politesse.

Tout doit se mesurer sur la plus vaste échelle dans cette république aux proportions gigantesques, et qui présente la vivante image du fabuleux pays de Brobdingnac. Une incroyable variété de races existe sur l’immense surface de son territoire. Dans notre Europe, les contrastes les plus tranchés des races ne sont que des nuances d’un même sang ; leurs mélanges les plus violens ne sont que des affinités récalcitrantes qui ont été contraintes, leurs différences ne sont que des différences d’âme et de caractère ; leurs dissemblances, en un mot, de quelque nature qu’elles soient, sont historiques et non physiologiques. Aux États-Unis, ce sont les quatre grandes races entre lesquelles se partage physiologique-