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concision pittoresque : « lorsque l’homme blanc arrive, le buffle s’en va ; lorsque le buffle s’en va, la femme et l’enfant meurent. » — « Si les Indiens connaissaient nos cris de partis, dit ingénieusement M. Dixon, nul doute qu’ils n’adoptassent ce cri de guerre : les terrains de chasse pour les chasseurs ! » Les Indiens vivent exclusivement de la chasse ; or le terrain qui est nécessaire à un tel genre d’existence serait suffisant pour nourrir une population vingt fois, cent fois plus considérable, composée de pasteurs et d’agriculteurs. Vous pouvez comprendre maintenant comment les Américains, par le fait seul de leur présence, nuisent aux Peaux-Rouges et les déciment, sans avoir besoin de recourir à aucune de ces pratiques machiavéliques dont on les a trop libéralement accusés.

Mais, objectent quelques sentimentalistes qui nous paraissent ici mauvais logiciens, le pays appartenait primitivement aux Indiens, et ils en ont été dépouillés par les blancs. En principe, la terre n’appartient, après Dieu, qu’au premier qui la cultive. Or les Peaux-Rouges l’ont-ils jamais cultivée, la cultivent-ils aujourd’hui ? L’ont-ils jamais par le travail fait passer des mains de Dieu dans les leurs ? Non, ils ont vécu sur le sol de l’Amérique comme un produit naturel, au même titre que les buffles et les antilopes, et il n’est pas plus raisonnable de les considérer comme les premiers propriétaires du pays que les buffles et les antilopes. Tel est le raisonnement de M. Dixon, et, pour notre part, nous le déclarons irréfutable. Cela dit, reste cependant une question de justice et d’humanité qui désarme toute logique, et qui est faite pour troubler le cœur le plus ferme. Une compensation est pourtant due à ces hommes que la civilisation dépouille fatalement. Laquelle ? une compensation en argent, en rentes pour les terrains de chasses dont ils se trouvent frustrés ? Elle a été accordée dès les jours de Washington, et elle n’a jamais paru suffisante à la conscience de ceux qui la donnaient. Une telle compensation ne peut empêcher de mourir de faim une population qui ne vit et ne veut vivre que de la chasse. Que faire alors ? Essayer de les initier à la civilisation, de faire naître en eux goût et estime pour les arts de l’agriculture, qu’ils ont toujours fait profession de mépriser ? Toutes les tentatives que des philanthropes malavisés ont essayées pour civiliser les Indiens ont pitoyablement échoué. « Une tribu de Senecas fut établie dans un bel emplacement près du fleuve Alleghany, une tribu d’Oneidas fut établie sur un terrain de réserve, au centre de l’état de New-York, à Oneida Creek. Argent et soins furent prodigués en faveur de ces restes des nations rouges ; on leur défricha des fermes, on leur bâtit des maisons, mais ils ne voulurent jamais se résoudre à travailler de leurs mains avec la prudence et la continuité qui sont nécessaires au succès dans la production des céréales