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Le plus exécré des rebelles s’appelait Paul Astier. C’était un beau, brave et honnête garçon qui ne devait rien qu’à lui même. Lorsqu’on est le septième fils d’un garde forestier des Ardennes, vous pensez bien qu’on porte son patrimoine au bout des bras. L’enfant n’était ni sot ni fainéant ; il suivit l’école du village voisin, s’y distingua bientôt et entra comme externe boursier au collège de la ville. Il faisait deux lieues et demie tous les matins et autant tous les soirs, avec ses livres dans une main, ses souliers dans l’autre, et un morceau de pain noir en poche. A dix-huit ans, il s’engagea, partit pour la Crimée et fit toute la campagne sans attraper un rhume de cerveau. Une mine éclata sous lui à l’attaque de Malakoff ; il retomba sur ses pieds en riant comme un fou. Lorsqu’il revint, en 1856, il avait trois citations et l’épaulette. En 1859, au début de la guerre d’Italie, son régiment n’était pas désigné pour faire campagne, mais il obtint de permuter avec un sous— lieutenant maladif, et c’est ainsi qu’il passa sous les ordres du colonel Vautrin. Il retrouva dans la compagnie un camarade de son âge et de son pays qu’il avait connu dès l’enfance et tutoyé de tout temps. Ce soldat, nommé Bodin, s’attacha aussitôt à lui comme ordonnance et le servit avec une véritable amitié : il ne savait ni lire ni écrire, mais il aurait su se faire tuer pour le supérieur qui le traitait en camarade. La campagne de 1859 fut écourtée, comme chacun sait, toutefois Astier trouva le temps d’y gagner un grade, et le fidèle Bodin, qui avait pris le quart d’un drapeau, rapporta la médaille militaire. La paix signée, le régiment fut dirigé sur Nancy ; c’est là que Paul Astier fit connaissance avec la femme et la fille de son colonel.

D’entrée de jeu, Blanchette lui déplut ; et comme il n’était diplomate ni peu ni prou, il n’eut garde de se mettre en frais de galanterie pour elle. La petite fut d’autant plus choquée de sa froideur qu’elle le trouvait plus agréable à voir que le commun des hommes. Elle fit violence à son attention et l’agaça tant qu’elle put, mais maladroitement : la coquetterie est un art qui ne s’acquiert pas sans étude. Plus elle le piquait, plus il s’accoutumait à la regarder comme un taon, un moustique ou toute autre mouche importune. Le jeune homme avait trop de sang dans les veines pour tenir, une heure durant, les écheveaux d’un petit laideron. Lorsque Blanche l’appelait à haute voix devant cinquante personnes sans avoir rien à lui dire, il ne répondait pas toujours patiemment à ses questions saugrenues. Plus elle se sentait sotte avec lui, plus elle revenait à la charge, comme un joueur qui lutte contre la veine sans se dissimuler qu’il y perdra son dernier sou. L’affaire, étant mal engagée, alla tout naturellement de mal en pis ; les taquineries s’aggravèrent.