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s’en étonnera point, si l’on considère que dans nos sociétés européennes, où la femme est depuis des siècles régie par des principes monarchiques, nous avons été forcés de l’examiner dès que ces sociétés ont glissé dans la démocratie : les discussions de nos écoles socialistes et les métamorphoses si rapides accomplies dans nos mœurs, sinon dans nos lois, sont là pour en témoigner. Avec quelle force cette question n’a-t-elle donc pas dû se présenter dans une société libre de précédens monarchiques, et qui avait son origine dans la démocratie pure, sans mélange d’autres institutions et d’autres traditions ! Liberté, égalité, sont-ce là des biens appartenant à un seul sexe, ou sont-ils communs aux deux sexes ? La différence des fonctions constitue-t-elle une inégalité, et la disparité de devoirs qu’elle entraîne entraîne-t-elle aussi une disparité de droits ? Si les devoirs sont différens, faut-il croire que la nature veut que deux ordres de société coexistent côte à côte, et que, tandis que l’un des sexes vivra selon les lois de l’indépendance démocratique, l’autre doit continuer à vivre selon les lois de la soumission monarchique, ou bien ne faut-il pas croire plutôt que l’esprit humain n’a pas encore trouvé la forme d’institution par laquelle ces différences de fonctions et de devoirs seront réconciliées dans une unité harmonique où ces inégalités apparentes disparaîtront ? C’est à trouver cette unité harmonique que se sont appliqués des sectes et des rêveurs à l’infini, et parmi ces rêveurs John Noyes, fondateur de la communauté d’Oneida Creek, qui mérite une mention très particulière.

John Noyes, un de ces théologiens aventureux qui abondent aux États-Unis, est parvenu, après bien des luttes intéressantes et des expériences renouvelées, à fonder une secte communiste connue sous le nom de perfectionnistes ou communistes selon la Bible, dont le siège principal, la Jérusalem ou l’Antioche, est à Oneida Creek, sur le chemin de fer central de l’état de New-York, dans cette même localité que l’on avait donnée aux Indiens Oneidas pour les acclimater aux arts de l’agriculture. Cette singulière société a réussi à établir deux choses que l’expérience des siècles a jusqu’à présent considérées comme impossibles, surtout la seconde, la communauté des biens et la communauté des femmes. Fait curieux, la société prospère, s’enrichit, vit sans querelles et sans troubles, tandis qu’il est bien connu que toutes les utopies du même genre qui ont essayé de s’établir, Harmonia, New-Lanark, Brook-Farm, Nauvoo, ont été rapidement dissoutes, soit par impuissance à couvrir leurs frais, soit par des querelles intestines. « Vous verrez, dit le directeur du New-York Tribune, Horace Greeley, à M. Dixon, qu’Oneida Creek est un succès commercial. » Par quels moyens, quelles pré-