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reux détail les mormons ont tari d’avance toute la fécondité de cette doctrine.

Cependant quelque audacieuse et fatale qu’ait été l’entreprise, nous n’hésitons point à déclarer que, dans les circonstances particulières du mormonisme, l’établissement de la polygamie a été un coup de génie politique. La lecture du livre de M. Dixon nous a causé une véritable joie, car elle nous a montré que nous ne nous étions point trompé lorsque, il y a déjà bien longtemps, nous cherchions ici même à comprendre le véritable caractère de cette secte[1]. Nous avions deviné juste : c’est bien à Brigham Young que revient le triste honneur de ce coup de génie, digne d’un homme sans scrupules, mais certainement né pour commander. Il est douteux que jamais Joseph Smith, le fondateur de la secte, y ait songé sérieusement, et le seul témoignage sur ce sujet est un papier produit longtemps après sa mort, et qui n’est même pas de la main du prophète. Emma, la femme encore vivante de Joseph Smith, et les quatre fils du prophète n’ont jamais voulu reconnaître la valeur de ce témoignage, ni admettre que la polygamie fût comprise dans la doctrine primitive, et ont fait schisme ouvertement. Plus d’ailleurs nous lisons de détails sur Brigham Young, plus nous restons convaincu qu’il n’est pas un homme ordinaire. Ce qu’il est comme vigueur de caractère, son attitude vis-à-vis du gouvernement de Washington dans ces dernières années l’a suffisamment montré. Une anecdote racontée par M. Dixon nous le fait connaître à merveille à cet égard. Lors de l’exode, les provisions d’alcool que les mormons avaient emportées avec eux pour corriger l’eau malfaisante du désert avaient été successivement saisies par les agens de l’état, sous prétexte qu’elles étaient destinées aux Indiens, auxquels il est défendu d’en vendre. Quatre petits barils restaient seuls, et lorsqu’il fallut franchir le Missouri, un agent des douanes se mit en devoir de les briser. « De ce reste d’alcool dépendait la vie de son peuple, et lorsqu’il vit l’homme lever son maillet, Brigham leva son pistolet, le dirigea vers sa tête et cria : « Arrêtez ! Si vous touchez ce baril, par le Dieu vivant vous êtes mort. » L’homme se tint pour averti, et le peuple des saints fut sauvé ; mais vraiment Olivier Cromwell, d’énergique mémoire, ne fit pas beaucoup mieux le jour où voyant ce soldat niveleur qui sortait des rangs pour lui adresser quelques remontrances anarchiques, il l’abattit à ses pieds d’un coup de pistolet avant qu’il eût pu dire une seule parole. Ses facultés de gouvernement sont attestées par la stricte police de l’Utah et par les merveilles d’agriculture opérées par les mormons. Rien n’échappe à la surveillance de l’autorité ; si à une heure quelconque du jour

  1. Voyez la Revue du 15 février 1850.