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à améliorer l’œuvre principale de sa vie, et à la mettre au niveau des autres cartes géologiques de l’Europe. En effet, la science marche vite; qui s’arrête est bientôt distancé. Nos voisins nous ont dépassés; la carte géologique de l’Angleterre, par MM. Murchison, Ramsay, Geikie et les autres membres du Geological Survey, est un chef-d’œuvre d’exactitude, et compte déjà trois cents feuilles environ; celles de la province de Victoria, en Australie, et de l’Inde anglaise s’avancent rapidement. Nous devons à M. de Dechen une très belle carte de la Prusse, à M. Gumpert celle de la Bavière; mais celle qui me paraît réunir toutes les conditions imaginables, c’est la carte géologique de la Suisse, qui s’exécute sous la direction de MM. Studer, Pierre Merian, A. Escher de la Linth, Desor, de Loriol et A. Favre. Autour d’eux se sont groupés des collaborateurs zélés et capables, professeurs, ingénieurs, agriculteurs et même simples amateurs. Depuis 1860, on a vu paraître successivement cinq grandes feuilles, quinze plus petites et quatre volumes in-4o de texte. Je ne serai démenti par aucun connaisseur quand je dirai que la carte géologique du canton des Grisons, par M. Théobald, est, comme fidélité et comme exécution, ce qui a paru de plus remarquable en ce genre. La magnifique carte du général Dufour, tant admirée à l’exposition universelle, est la base topographique du travail. Sur une des feuilles des Grisons, il n’y a pas moins de trente-huit teintes si habilement choisies que les terrains se distinguent nettement sans que l’ensemble paraisse bariolé. Quiconque a visité les hautes montagnes de ce canton peut se faire une idée du dévouement, de la persévérance et de la sagacité qu’il a fallu pour débrouiller ce chaos de terrains bouleversés. Aucun des travaux de cabinet exécutés soit par les membres de la commission soit par les géologues qui opèrent sur le terrain n’est rémunéré. La satisfaction d’avoir servi la science, la reconnaissance de leurs compatriotes, l’approbation du conseil fédéral, sont leur seule récompense; aussi jamais dans aucun pays un pareil monument n’a-t-il été édifié à moins de frais. Les cinq grandes feuilles, les quinze plus petites et les quatre volumes in-4o ont coûté 50,000 francs! Voilà l’exemple que la Suisse donne au monde scientifique. Pour ce travail, elle n’a eu besoin de recourir à aucun secours étranger. Dans ses étroites frontières, elle a tout trouvé, organisateurs, topographes, géologues, imprimeurs, graveurs, coloristes, et tout dans cette œuvre porte l’empreinte de la perfection. Faisons des vœux pour que la France, qui a donné l’exemple et la première impulsion, rentre dans la lice et reprenne le rang qui lui appartient.


CHARLES MARTINS.


L. BULOZ.