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à placer à ce prix tous les capitaux dont elle pourrait disposer. Il est démontré en outre que le bon marché du capital, dont on se promettait tant de merveilles, n’a pas sur la prospérité publique et le développement de la richesse une influence aussi efficace qu’on se plaisait à le dire. En effet, depuis plus d’un an le taux de l’escompte est à 2 1/2 pour 100, et cependant nous sommes loin d’être dans une ère de prospérité. D’où cela vient-il? D’où vient surtout que nous ayons vu s’accomplir un changement aussi complet dans l’état du capital disponible? Au mois de novembre 1864, l’argent était à 7 et 8 pour 100 avec un encaisse de moins de 200 millions; au mois de mars suivant, il n’était plus qu’à 3 1/2 pour 100, et l’encaisse était déjà remonté à plus de 400 millions. Depuis lors, les deux tendances, l’une à la baisse du taux de l’intérêt, l’autre à l’augmentation de l’encaisse, n’ont fait que s’accuser davantage. En 1866, l’encaisse atteignait 700 millions, et l’escompte était à 3 pour 100; en 1867, le premier arrivait à 1 milliard, et l’autre descendait encore; aujourd’hui l’encaisse atteint 1,150 millions, l’escompte est à 2 1/2 pour 100. C’est le fait le plus extraordinaire qui se soit produit jusqu’à ce jour dans l’histoire de la Banque de France. Jamais on n’avait vu l’encaisse monter si haut, et jamais deux situations aussi opposées que celle du mois de novembre 1864 et celle du mois d’avril 1868 ne s’étaient produites à si peu d’intervalle l’une de l’autre.

Les cas de révolution politique mis à part, ce qui, dans le courant ordinaire des choses, modifie d’une manière sensible le chiffre du capital disponible, ce qui le rend tout à coup abondant, de rare qu’il était la veille, ce sont les crises commerciales ou financières et la liquidation qui en résulte. Les capitaux, éprouvés par des pertes plus ou moins considérables, se retirent momentanément des affaires, et ils attendent que les circonstances leur paraissent plus favorables pour s’y engager de nouveau; mais il est rare que cet effet persiste toute une année. Bientôt le souvenir du passé s’efface, la confiance revient et les affaires reprennent. C’est ce qui est arrivé après l’avant-dernière crise, celle de 1857. Dès 1859, malgré la guerre d’Italie et les alarmes qu’elle avait fait naître, tous les capitaux cherchaient et trouvaient à s’employer. Depuis la liquidation de la crise de 1863 et 1864, les choses ont complètement changé de face. Il y a bien eu encore une certaine activité de transactions en 1865 et surtout en 1866 malgré la guerre d’Allemagne; toutefois ce mouvement favorable n’a pas été de longue durée. Il n’a pas eu non plus l’importance qu’il aurait dû avoir, étant données l’abondance des ressources dont on disposait et la vigueur qu’on met d’ordinaire à ces reprises d’affaires, lorsqu’une crise est