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ment dans notre circulation, comme la nôtre peut figurer chez eux. Nous ne pouvons pas constater aussi facilement l’influence da cours forcé en ce qui concerne l’immigration de la monnaie russe, de la monnaie autrichienne, du dollar américain, parce que ces monnaies, n’étant pas identiques à la nôtre, ne peuvent nous venir qu’après avoir subi une transformation et sous forme de lingots; mais cette influence n’en existe pas moins, et on en trouve la preuve dans la différence entre l’importation et l’exportation des métaux précieux en France. Depuis deux ans, cette différence se solde par 1,312 millions en faveur de l’importation. Pendant les trois premiers mois de l’année courante, la balance en faveur de l’importation est déjà de 195 millions, et cela malgré les acquisitions de céréales que nous avons dû faire au dehors, malgré les envois de métaux précieux que ces achats nécessitent. Autrefois une disette comme celle que nous subissons depuis l’année dernière entraînait une exportation de numéraire de 300 ou 400 millions, et faisait baisser sensiblement l’encaisse de la Banque de France. Cette année, nous avons acheté et payé toutes les céréales qui nous manquaient, et l’encaisse n’a point cessé d’augmenter. Les états de douanes indiquent qu’en 1867 nous en avons acheté pour 375 millions. Ce n’est pas le plus grand développement de notre commerce au dehors qui nous a fourni les moyens d’acheter et de payer nos céréales sans bourse délier, puisque au contraire il a été en diminution sur l’année dernière; non, c’est tout simplement l’influence du cours forcé. Dans les pays où il règne, la monnaie métallique s’en va. Elle s’en va d’abord parce qu’elle n’a plus dans la circulation sa valeur réelle, qu’elle est en concurrence avec un signe monétaire qui, en la remplaçant, la déprécie. Elle s’en va encore parce que dans ces pays on est toujours débiteur de l’étranger, et qu’à tout moment on a des remises à lui faire ; mais voyons comment on arrive au cours forcé.

Les états qui en viennent au cours forcé y sont presque tous amenés par les fautes de leurs gouvernemens. Les nations n’achètent généralement au dehors que ce qu’elles peuvent payer par l’échange ordinaire de leurs produits, autrement elles ne tarderaient pas à s’apercevoir qu’elles courent à leur ruine. Il leur faudrait solder la différence en métaux précieux, et, si elles n’en produisent pas elles-mêmes, elles seraient obligées d’entamer leur réserve métallique, ce qui est toujours préjudiciable. On a beau dire qu’après tout les métaux précieux sont une marchandise comme une autre, qu’on ne peut que gagner à l’échanger contre d’autres produits; c’est là de la théorie superficielle. Quand on va au fond des choses, on reconnaît bien vite que la monnaie est une marchandise