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pas toutes les couches de la société, et la masse de la nation, grâce à Dieu, y est encore étrangère; mais l’inactivité des bras, le chômage prolongé en présence de la cherté des denrées alimentaires, c’est une calamité qui atteint la vie des peuples à sa source. Le gouvernement est assurément plein de sollicitude pour les classes ouvrières, il s’occupe d’améliorer leur situation, il comprend qu’un pays où les classes ouvrières souffrent, où elles n’ont pas le bien-être qui doit résulter pour tous de la richesse publique, est un pays qui manque d’équilibre dans son existence sociale, et cependant, par une contradiction singulière, il se laisse aller à tout ce qui peut entraver le développement de ce bien-être. Il fait des armemens qui sèment l’inquiétude, arrêtent le travail et épuisent les finances; il oublie que la plus grande force d’un pays est celle qui réside dans la satisfaction de toutes les classes, dans le sentiment qui les attache aux institutions qui les régissent. Si, sous prétexte de les protéger contre des dangers plus ou moins imaginaires, on commence par les ruiner, on s’expose aux plus graves mécomptes. Avec des hallebardes, disait-on au docteur Quesnay dans les antichambres de la cour de Louis XV, on a raison de toutes les oppositions. « Oui, répondait-il, mais qui porte la hallebarde?» Il faut que celui qui porte la hallebarde soit content de sa position, qu’il n’ait aucun grief légitime; alors il la tient résolument et avec une vigueur qui défie toutes les attaques. On dira peut-être que notre gouvernement n’est pas maître de calmer les inquiétudes, que ce n’est pas lui qui a posé les questions plus ou moins irritantes qui tiennent l’Europe en suspens, et qu’il n’est pas en son pouvoir de les écarter, qu’il ne peut répondre que de sa bonne volonté en faveur de la paix, mais qu’il doit être prêt à toutes les éventualités.

Cela est malheureusement vrai, et c’est la triste conséquence de ce qu’on a laissé faire dans le passé. Cependant, il faut en convenir, l’agitation de l’Europe aujourd’hui repose sur l’idée que la France n’est pas contente, qu’elle n’adhère pas aux changemens de 18(56, aux agrandissemens de la Prusse, et qu’elle se prépare une revanche. Alors toutes les convoitises sont excitées : la Russie se dit qu’elle pourrait bien profiter du nouvel ébranlement de l’Europe pour mettre à exécution sa politique séculaire en Orient, la Prusse que ce sera une occasion pour elle de surexciter le patriotisme allemand et de fonder l’unité germanique; les Polonais rêvent à leur nationalité perdue, et l’Autriche au retour de son influence en Allemagne. Tout cela s’agite autour de la pensée qu’on prête à la France de défaire ce qui a été fait en 1866. Le mot de paix, pour trouver de l’écho aujourd’hui, doit donc partir de la France, mais de la