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et si pendant le XVIIe siècle il y eut quelques essais de liberté commerciale, ces essais furent exceptionnels et limités à de rares localités sévèrement circonscrites.

Deux grands hommes de bien, sans s’être donné le mot, publient la même année, 1707, chacun un livre qui aurait dû ouvrir les yeux du roi et convertir les ministres de ses volontés. Le Détail de la France par Bois-Guilbert et le Projet de dime royale de Vauban sont deux minces volumes où le salut de la monarchie était contenu, et qui sont le point de départ de toute la science économique de notre temps. Tous deux avaient vu la misère de près, ils avaient vécu au milieu de ce doux peuple de France dont ils avaient admiré la résignation, écouté les plaintes et déploré la persistante infortune. Frappés des maux qu’ils avaient contemplés, ils y cherchèrent un remède, le trouvèrent, le mirent au jour, et ne furent écoutés par personne. Saint-Simon a raconté les dédaigneuses colères de Pontchartrain lorsqu’il eut connaissance de ces projets de réforme. La situation de la France y est exposée au vif. « Les peuples, dit Bois-Guilbert, s’estimeraient heureux, s’ils pouvaient avoir du pain et de l’eau à peu près leur nécessaire, ce qu’on ne voit presque jamais. — Les denrées de la Chine et du Japon, en arrivant en France, n’augmentent que de trois fois le prix qu’elles ont coûté sur le lieu; mais les liquides qui viennent d’une province à l’autre de la France, quoique souvent limitrophes, augmentent de dix-neuf parts sur vingt et même davantage, » et il demande pour le peuple la permission de labourer et de faire le commerce. « Les paysans, dit Vauban, arrachent les vignes et les pommiers à cause des aides et des douanes provinciales ; — le sel est tellement hors de prix qu’ils ont renoncé à élever des porcs, ne pouvant conserver leur chair. » Chacun d’eux établit d’une façon péremptoire que l’impôt est progressif, mais en sens inverse ; moins on possède, plus on paie : une ferme rapportant quatre mille livres est taxée à dix écus; une ferme de quatre cents livres est cotée à cent écus. Quel remède à tant de maux? Un seul, l’égalité devant l’impôt, égalité appuyée sur la liberté des transactions, sur l’abolition de toutes les entraves fiscales apportées à la culture et à la circulation des denrées alimentaires. L’idée n’était point mûre sans doute; Bois-Guilbert, pour prix de ses conseils, fut exilé; quant au Projet de dime royale, condamné par arrêt du conseil en date du 14 février 1707 à être détruit par la main du bourreau, il fut brûlé au pilori de la place de Grève; le coup fut dur pour Vauban, il ne put le supporter, et mourut six semaines après (30 mars).

Ces deux humbles héros qui les premiers avaient osé parler pour le pauvre peuple de France allaient être vengés d’une façon terrible; leurs prévisions furent trop cruellement justifiées par l’hiver