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Un jour qu’il était à la chasse, il avisa un homme qui péniblement portait sur son dos une longue boîte en bois : « Que portes-tu là? — Un mort. — Mort de quoi ? — De faim ! » Le roi tourna bride et ne dit mot. En dépit des avertissemens, Louis XV restait indifférent et laissait faire. S’il sort de son indolence habituelle, c’est encore à propos du poisson de mer. Les chasse-marée, depuis leur point de départ jusqu’à leur arrivée à Paris, ne pouvaient, sous aucun prétexte, déballer et vendre leurs marchandises. En 1753, un ordre royal leur permit de s’arrêter à Pontoise pour fournir du poisson au parlement, qu’on y avait exilé.

Cependant certains hommes plus clairvoyans que les autres réclamaient la libre circulation des céréales; quelques chambres de commerce. Tours (1761), Montauban (1762), essayaient, par des mémoires, de démontrer l’absurdité coupable du régime prohibitif. Une sorte de lueur fugitive semble éclairer alors l’esprit des ministres. Le 12 janvier 1764, M. de Laverdy, contrôleur-général des finances, expose à la chambre de commerce de Paris « que les laboureurs ne tiraient plus du prix de leurs travaux de quoi payer leurs impositions, leurs baux et leur propre subsistance, que l’effet de l’abondance des dernières récoltes était préjudiciable au royaume, puisque les cultivateurs, surchargés par leurs propres richesses, qu’ils voyaient journellement dépérir sous leurs yeux malgré les soins qu’ils prenaient pour les conseiller, et qui dégénéraient pour eux en de nouvelles charges, se voyaient forcés de réduire leur culture au seul nécessaire, et regardaient eux-mêmes la fertilité comme une augmentation de leur misère[1]. » M. de Choiseul, mû par un sentiment de justice, poussait aux réformes, et le 19 juillet 1764 un édit fut proclamé qui établissait la liberté du commerce des céréales; seulement l’importation des grains étrangers pouvait être interdite lorsque le blé français serait au-dessous d’une certaine valeur. Ce libre système fonctionna pendant six ans et fut brusquement interrompu par une ordonnance du 23 décembre 1770, qui remettait les choses dans l’ancien état. Ce ne fut qu’au temps de Louis XVI et de Turgot qu’on essaya de faire entrer définitivement la nation dans les voies fécondes de la concurrence. Le blé était captif, Turgot voulut le délivrer à tout prix; mais il eut fort à faire et n’y réussit pas, il ne fut compris par personne. Des habitants d’Auch, voyant l’intendant de la généralité se disposer à ouvrir des routes qui auraient permis le facile transport des céréales, firent une humble supplique où ils disaient : « Ne prétendons pas être plus sages que nos pères ; loin de créer pour les denrées de

  1. Collection Fontanière, portefeuille 719, dépôt des manuscrits de la Bibliothèque impériale. — De l’Alimentation publique sous l’ancienne monarchie, p. 65.