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et sans grandeur, qui n’a rien de curieux qu’un écho vertical d’une puissance et d’une rapidité extraordinaires. La colonne de Catherine de Médicis n’offre qu’un médiocre intérêt malgré le très remarquable escalier en vis qui en garnit l’intérieur; elle a été réparée si souvent que la mère des derniers Valois ne la reconnaîtrait plus. L’aspect intérieur de la coupole est désagréable; Victor Hugo l’a définie d’un mot cruel, mais mérité : « le dôme de la halle au blé est une casquette de jockey anglais sur une grande échelle. » Elle est supportée par vingt-quatre arcades plein cintre sans ornemens qui donnent à cette immense salle un aspect singulièrement froid et monotone. Un double escalier conduit au premier étage, où sont situés les bureaux des agens de l’administration, et au second étage, qui sert de halle aux toiles. Autant tous les autres marchés de Paris sont bruyans et animés, autant celui-ci est calme et pour ainsi dire endormi. Des sacs de grains sont empilés çà et là; d’autres sont entr’ouverts pour laisser apercevoir les lentilles, les haricots, les farines, les maïs qu’ils contiennent; un sergent de ville ennuyé se promène les mains derrière le dos; quelques forts causent entre eux, à demi couchés sur des bancs, le grand chapeau à leurs pieds, le bâton à clous de cuivre pendu au poignet; de rares passans traversent, en prenant garde de ne point se blanchir, les ruelles ménagées entre les monceaux de sacs; le long des piliers s’élèvent des baraques en bois louées à raison de 50 centimes par jour, et où des marchandes au détail tricotent en attendant les pratiques; est-ce un marché public, est-ce un magasin insuffisamment garni? On peut s’y tromper.

Malgré les efforts de l’administration, on n’est jamais parvenu à garder dans l’enceinte même de la halle au blé les marchands de grains et de farines, les minotiers et les boulangers. C’est dans la rue de Viarmes, dans les cafés voisins, qu’ils vont débattre leurs intérêts et traiter leurs affaires. Dire le chiffre de ces dernières est impossible, car le grain, comme toute denrée de consommation indispensable que le temps ne détériore pas, est devenu un objet de spéculation au lieu de rester ce qu’il devrait être, un objet de trafic. Les hommes qui se réunissent aux abords de cette vaste rotonde les lundis, mercredis et samedis sont en général des agioteurs bien plus que des commerçans. On achète des farines avec report et fin courant, comme ailleurs on fait des opérations sur des valeurs fictives. Les différences se paient sans que la marchandise ait été livrée ou même entrevue, et il peut se trouver tel négociant en grains qui se soit enrichi ou ruiné sans avoir jamais fait glisser dans ses mains une poignée de seigle ou de froment. Certaines farines dont la provenance est connue sont plus recherchées que les autres et trouvent immédiatement un débit assuré. Ce