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ce principe est monopolisé au profit des vieilles folles de quarante ans. »

Le jour où Mme Humblot prit congé d’elle avec mille protestations, elle lui répondit :

« Je ne me recommande pas à votre amitié, mais à vos prières. La plus malade de nous deux, quoi que vous en pensiez, c’est moi. Ma conscience est comme un champ de bataille couvert de morts et de blessés. J’ai fait pour vous servir tout ce qui était humainement possible ; si vous ne vous en allez pas contente, il y en a d’autres qui sont plus à plaindre que vous. »

Personne ne chercha le fin mot de ces incohérences. Les propos les plus insensés, les exagérations les plus inexplicables n’étonnent pas dans la bouche d’une fille de quatorze à quinze ans.

Les dames de Marans avaient quitté Nancy depuis quarante-huit heures quand Paul Astier reparut à la pension des lieutenants. Ses camarades lui firent fête, quelques-uns lui sautèrent au cou. L’autorité n’avait pas jugé convenable de publier les motifs de sa punition ; on savait en tout et pour tout qu’il avait manqué grièvement au chef de bataillon. Son nom était rayé de la liste des propositions ; le lieutenant Foucault, de la 3° du 2°, était mis à sa place, et le brave garçon s’en excusait le plus cordialement du monde. Astier reçut très-poliment les condoléances de ses amis, mais sans abandon et sans grâce : son cœur ne s’ouvrait plus qu’à moitié. Lorsqu’au dessert on déboucha le vin de Champagne en son honneur, il prévint le toast en disant :

« Un instant, messieurs. Vous souvient-il que l’an dernier, autour de cette table, un jour de réception, j’ai fait passer certaine charge du commandant Moinot ? »

Les convives, debout, le verre en main, se regardaient sans comprendre. Il n’attendit pas leur réponse et poursuivit d’un ton bref :

« Le dîner s’acheva si gaiement que je ne songeai pas à reprendre ce chiffon de papier. Quelqu’un de vous l’a-t-il recueilli par hasard ?

— Moi, dit Foucault.

— Ah ! c’est vous ? La coïncidence est fâcheuse.

— Comment ?

— Avez-vous conservé l’objet en questions

— Non ; je n’y attachais pas d’importance, et je l’ai donné à quelqu’un.

— Donné ou envoyé ?

— Donné de la main à la main.

— Foucault, je vous ordonne de me dire sur l’heure à qui vous l’avez donné.