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Mme Vautrin, toujours bonne et sans malice, dit à sa fille :

« Voilà un pauvre garçon qui aurait grand besoin de venir en Sicile avec nous.

— Par malheur, répondit le colonel, il n’a que sa solde. »

Blanche ne put se défendre de penser que sans elle le jeune homme serait riche, heureux et bien portant.

Ce remords la suivit jusqu’au pays des oranges. Pour une âme qui n’est pas absolument perdue, c’est un rude fardeau qu’une mauvaise action. Il se passa peu de journées sans que Blanche se souvint de Paul Astier, sans qu’elle se demandât « Où est-il ? que devient-il ? Il doit sentir cruellement le froid, tandis que j’ouvre mon ombrelle au soleil. S’il avait éprouvé une rechute’? s’il mourait ? Je n’en saurais rien, personne n’aurait l’idée de m’en écrire. Et moi, malheureuse, je n’ai pas même le droit de m’en informer !

Elle avait un petit commerce de lettres avec Mlle Humblot, et les nouvelles qui lui arrivaient de Marans n’étaient pas faites pour rassurer sa conscience. Antoinette lui annonça qu’elle allait tâter du couvent comme pensionnaire, sans engager sa liberté. Une espérance absurde, mais obstinée, soutenait la pauvre fille. « Encore un brave cœur qui souffre par moi, disait Blanche, et pour qui ? Quel fruit me revient-il de ses tortures ? Je fais des malheureux, et il n’y a pas sur la terra un être plus misérable que moi. »

Pendant qu’elle passait la vie à s’accuser et se lamenter tour à tour, le climat, le grand air, l’exercice, la jeunesse surtout, poursuivaient leur tâche et métamorphosaient à qui mieux mieux sa petite personne. Sa figure maigrelette se remplit, son corps se développa, sa taille s’arrondit, ses corsages devinrent trop étroits, les os saillants de ses bras disparurent comme les rochers à la marée montante ; quelques fossettes se dessinèrent çà et là. Son teint avait passé du brun sale au blanc fade de la cire. Il se réchauffa peu à peu et s’arrêta décidément à cette demi-blancheur, rose au fond et bronzée à la surface, que l’on admire chez les créoles. Le monde de Palerme et des environs la trouvait belle ; quant à la pauvre Mme Vautrin, elle vivait à genoux, en contemplation devant la merveille. Il est certain que le plomb vil s’était changé en bon argent et que la femme du colonel, après six mois d’absence, ramena en Lorraine une Blanchette très-appétissante. Sa beauté n’était pas absolument régulière ; de la laideur effacée il restait je ne sais quoi d’étrange ; mais l’étrange n’est pas à dédaigner, et je sais des femmes superbes qui le payeraient cher, s’il se vendait en boutique.

« Mon lieutenant, dit un jour le fidèle Bodin, j’ai une nouvelle à t’a… à vous annoncer. C’est que la demoiselle du colonel a fini son