Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sa voix, cette voix au timbre sonore, se traînait plaintive sur chacun de ces mots que je répète avec la certitude de n’en omettre, de n’en changer aucun. — Pour vous avoir à ce point subjugué, continuai-je, il faut qu’elle soit admirablement belle.

Ceci lui arracha un sourire, un sourire triste et comme en deuil. — Sans doute, reprit-il, elle est charmante... Si elle n’était que cela!... Mais non, la beauté n’est chez elle qu’un don secondaire, son moindre attrait à mes yeux. D’autres qualités éminentes et rares la rendent digne qu’un homme déjà grand veuille grandir encore pour se mettre à son niveau,... qu’un tel homme veuille lai consacrer sa vie tout entière, — et, ceci lui étant refusé, qu’il veuille du moins mourir pour elle...

Ces paroles, très lentement articulées, me firent l’effet d’une main qu’on aurait posée sur mes lèvres. Je me tus à regret, mais je me tus. Bien évidemment il ne se doutait pas que je fusse là. Un souvenir unique le tenait absorbé. Je le vis bien lorsque, les yeux toujours arrêtés au niveau des horizons lointains, il laissa sortir de ses lèvres frémissantes une espèce d’appel extatique. — My darling, murmurait-il, my darling, vous saurez cette fois comment je vous aimais!...

Un long silence suivit. Nous ne nous parlions plus, et c’est à peine s’il se leva une ou deux fois pour me rendre quelques soins. Le reste du temps il demeurait assis, presque immobile, regardant toujours au dehors, attentif, aurait-on pu croire, à la course des nuages qui passaient rapidement sur les deux semés d’étoiles. Ainsi allèrent les choses jusqu’au moment où l’orient revêtit quelques teintes blanches. Ces symptômes précurseurs du jour me donnèrent une espèce de frisson. Je songeai qu’ils allaient donner le signal du meurtre. Deadly Dash alors se leva, et, penché vers moi, me contempla une fois encore avec une sorte d’attendrissement amical, absolument comme dans nos meilleurs jours d’autrefois. — Mon cher garçon, me dit-il, le général m’attend au lever du jour. Je suis donc forcé de vous quitter. C’est un adieu que je vous dis!...

Sa main étreignit la mienne. Il laissa un instant de plus son regard posé sur le mien, et dans ce regard il y avait une certaine nuance de mélancolie; puis il se détourna brusquement, et, suivi de son escorte, il sortit comme s’il marchait au-devant des splendeurs que le jour naissant allait répandre sur ce magnifique paysage.

A la netteté de l’ombre qu’il laissait derrière lui, je vis que le soleil était tout à fait levé. — Allons, me dis-je, le moment est venu pour eux! Pendant quelques instans encore, tout resta fort calme; mais le tambour mêla bientôt ses longs roulemens au chant matinal