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de recherches et occupé d’une manière tout abstraite à l’étude de la vie intérieure, — tous deux enfin, par une rencontre singulière et selon toute apparence par des raisons analogues, ayant terminé leur carrière par le mysticisme, mais le premier par un mysticisme inclinant au panthéisme, le second par le mysticisme chrétien.

Le spiritualisme français, sans méconnaître le génie de Fichte et les éclatans services que cet éloquent et profond philosophe a rendus à la cause de la personnalité humaine, se rattache plutôt par un lien historique naturel à Maine de Biran. Avec lui, il enseigne que l’âme est non un objet, mais un sujet, non un substratum mystérieux, mais une force libre, ayant conscience de soi, puisant dans le sentiment intérieur de sa causalité propre la conviction de son individualité, une d’une unité effective et non nominale, identique d’une identité non pas apparente, mais essentielle, inexplicable enfin par toute hypothèse de collection, collection de modes ou de parties. Hors de là, il nous paraît impossible de fonder une vraie morale et une vraie politique, car si la personne n’est, comme la chose elle-même, qu’une collection d’atomes, comment lui attribuez-vous d’autres titres et d’autres droits qu’à la chose? Si l’homme n’est qu’une combinaison chimique, comme la pierre, pourquoi ne pourrions-nous pas le briser comme la pierre elle-même, suivant nos besoins? pourquoi ne peut-il pas être pour nous un moyen, au même titre que les choses extérieures? pourquoi y a-t-il quelque chose en moi d’inviolable et de sacré? pourquoi suis-je tenu à être pour moi-même et pour les autres un objet de respect? On n’a jamais pu tirer du matérialisme d’autre morale ni d’autre droit que la loi du plus fort. Aujourd’hui une jeunesse passionnée et ardente croit trouver la liberté par la voie du matérialisme, comme si l’essence même du despotisme n’était pas de se servir de la matière pour opprimer l’esprit! Ces conséquences irrécusables du matérialisme, la logique de l’histoire les a mille fois démontrées. Un triste aveuglement les méconnaît aujourd’hui et croit travailler à la cause du droit en combattant la cause de l’esprit. Notre philosophie, que l’on essaie de discréditer en la représentant comme liée à l’orthodoxie religieuse du XVIIe siècle, est la vraie fille de la philosophie du XVIIIe. Ni Voltaire, ni Rousseau, ni Montesquieu, ni Turgot en France, ni Locke, ni Adam Smith, ni Ferguson en Angleterre et en Écosse, ni Lessing, ni Kant, ni Jacobi en Allemagne, ni Haller, ni Réaumur, ni Bonnet en Suisse, aucun de ces grands libérateurs de la raison humaine au XVIIIe siècle n’a été matérialiste. Comme eux, nous croyons que le droit est inséparable d’un ordre intelligible et moral dont nous sommes les citoyens, et dont le souverain, c’est-à-dire Dieu, est le type absolu de la sainteté et de la justice.