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losophie. Il n’y a rien d’absurde à ce qu’une religion déjà existante, ayant une tradition historique, associée aux habitudes et aux mœurs d’une société, continue à vivre en se dépouillant successivement de toute superstition. De même que les philosophes ne peuvent pas fonder une société, mais peuvent rendre de plus en plus philosophiques les sociétés existantes, de même qu’ils ne peuvent créer des langues (au moins en dehors de la science), mais qu’ils peuvent rendre les langues usuelles de plus en plus claires, logiques, analytiques, en un mot philosophiques, de même ils ne peuvent créer des religions, mais ils peuvent transformer les religions historiques. Ce qu’il y a de fécond et de vivant dans le christianisme progressif de la nouvelle église, c’est précisément d’avoir résolu le problème religieux d’une manière toute différente de celle que l’on proposait il y a une trentaine d’années. Alors on proposait de créer un dogme, une église, des cérémonies, tout à nouveau. Les chrétiens libéraux trouvent beaucoup plus simple, et ils ont raison, de prendre pour point de départ le christianisme lui-même en le dépouillant de tout ce qui lui aliène les esprits indépendans. Ne lui enlève-t-on point par là, dira-t-on, sa sève et sa vitalité? C’est ce que l’avenir nous apprendra. En attendant, c’était une tentative à faire. Sur ce terrain élargi, les chrétiens pouvaient donner la main aux philosophes, et ceux-ci de leur côté n’ont pas de raison pour s’y refuser.

Une crise analogue à celles que nous venons de décrire pourrait bien se manifester dans le sein du spiritualisme philosophique, si certaines tendances contraires, enveloppées jusqu’ici dans une unanimité apparente, venaient à se manifester un peu plus énergiquement. Tous les spiritualistes sans exception croient à la fois à la nécessité d’une doctrine et à la nécessité de la liberté d’examen; mais il semble que les uns attachent plus d’importance à la doctrine qu’à la liberté, aux conclusions déjà trouvées qu’à la recherche de vérités nouvelles, à la défense qu’à la découverte, à l’intérêt moral et pratique qu’à la pure science et à la libre spéculation, au repos qu’au mouvement, à la tranquillité d’une conviction satisfaite qu’aux ardeurs toujours anxieuses et dangereuses d’une pensée en travail. Les autres ne sont pas disposés à se contenter aussi facilement : l’immobilité d’une doctrine une fois faite ne leur paraît guère conforme à la nature de l’esprit humain, surtout dans l’ordre purement philosophique; avec le besoin de croire, ils éprouvent en même temps le besoin de penser; la fermeté de leurs convictions ne tarit pas chez eux l’activité vivante de l’investigation scientifique. Ils voudraient ne rien sacrifier de ce qu’ils ont pensé jusqu’ici et y ajouter quelque chose; ils cherchent à résoudre le