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ques années en Bohême, dans les districts orientaux de la Galicie et de la Hongrie comme dans la Bukovine. Les Slaves de la Bohême, on le sait, les Tchèques, écoutant leur dépit contre le gouvernement de Vienne plus que leurs intérêts, n’ont été que trop facilement disposés à suivre le mouvement, guidés par leurs chefs, MM. Palaçky, Rieger, Brauner. Prague est devenue le vrai foyer de cette agitation slave, qui a ses journaux, qui se produit sous toutes les formes, et a pris pour mot d’ordre l’hymne national russe. Prague a remplacé Dresde dans les préférences des voyageurs russes, qui s’y établissent, qui ont eu même l’idée d’y fonder une église orthodoxe, et parmi ces visiteurs il en est quelquefois de princiers. Il y a peu de mois, la grande-duchesse Hélène passait quelque temps à Prague, charmant les Slaves par l’accueil gracieux qu’elle leur faisait, et après la grande-duchesse Hélène est venu le grand-duc Constantin, qui paraît avoir sa place dans les cœurs tchèques depuis qu’il a donné à son dernier fils le nom de leur saint patron Venceslas. La femme du grand-duc Constantin, à l’occasion de la naissance de ce fils, avait même envoyé à la cathédrale de Prague une lampe d’or d’un grand prix, qui ne s’est malheureusement pas retrouvée quand les augustes visiteurs ont voulu en avoir des nouvelles. L’année dernière, dans une cérémonie où l’on célébrait l’anniversaire de la découverte du fameux manuscrit de Kralodvor, ce fragment de l’ancienne poésie tchèque que les érudits allemands croient apocryphe, on chantait l’inévitable hymne russe, et un des chefs du parti slave s’écriait : « Dans la sainte Russie, l’hymne Dieu protège le tsar ! est le symbole de l’unité politique de la nation russe; pour nous, il est l’expression et le symbole de l’unité nationale et morale de tous les peuples slaves. Il est pour nous ce qu’a été pour les Allemands le célèbre chant du patriote Arndt: Où est la patrie allemande ! » Mais il y a une partie de l’empire d’Autriche autre que la Bohême où la propagande russe est plus active encore peut-être et certainement plus directe, plus dangereuse, c’est cette partie orientale de la Galicie et même de la Hongrie habitée par des populations qui s’appelaient autrefois Ruthènes, et que la politique moscovite appelle tout simplement aujourd’hui Russes pour les confisquer à son profit, du droit incontestable de la nationalité, — au même titre, dit-on couramment, que « l’Italie a revendiqué la Vénétie. »

De quoi s’agit-il au fond? Je n’irai certes point m’engager dans des problèmes historiques. La partie orientale de la Galicie est occupée, on le sait, par cette race ruthène qui compte deux millions et demi d’âmes, qui forme la masse de la population des campagnes et la petite bourgeoisie. Les Ruthènes ne sont peut-être pas absolu-