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rité. C’est au milieu des dangers de la guerre d’Amérique que les Anglais comprennent enfin la nécessité de revenir sur la politique qu’ils ont pratiquée pendant six siècles (1172-1778). Le premier adoucissement des lois pénales est bien insuffisant ; mais elles ne tardent pas à s’écrouler devant les orages qui ébranlent jusqu’aux fondemens de la puissance anglaise en Irlande. En effet, nombre de protestans d’origine anglaise ou écossaise ont fini par devenir irlandais de sentiment; ils épousent les passions nationales de leurs compatriotes catholiques, trop écrasés pour pouvoir se soulever les premiers, et ils se mettent à leur tête. Les presbytériens surtout, leurs anciens ennemis, font cause commune avec eux, car la domination de l’église établie, dont ils ressentent aussi le poids, a réveillé leurs vieux instincts républicains. C’est parmi ces nouveaux alliés que les Irlandais trouvent leurs chefs. Robert Emmet est un dissenter, lord Edward Fitzgerald est protestant et porte le plus grand nom des anciens conquérans de l’Irlande. De plus en plus pressée, l’Angleterre abolit en 1793 les derniers restes des lois pénales. En 1800, l’acte d’union arrache l’Irlande au pouvoir intolérant et corrompu du parlement protestant de Dublin : deux grands hommes d’état, Pitt et lord Cornwallis, méditent déjà de féconder cet acte par l’émancipation des catholiques et la dotation de leur clergé. Enfin en 1829 O’Connell, soutenu par une population qu’a relevée l’usage d’une large liberté, conquiert pour ses compatriotes l’égalité politique.

L’église établie reste debout, survivant seule aux institutions oppressives d’un autre âge. Comme une tour solitaire s’élevant au-dessus des ruines d’une forteresse démantelée, elle n’est plus elle-même un instrument de tyrannie, mais elle en réveille les souvenirs par sa présence, et son isolement attire sur elle tous les ressentimens. Cependant elle aurait peut-être résisté encore à bien des orages, si des circonstances nouvelles n’avaient fait de sa chute une grande nécessité politique, et réuni pour travailler à l’abattre toutes les forces longtemps éparses du parti libéral. Ces circonstances sont d’une part le progrès de la richesse, de l’éducation politique, par conséquent de l’influence sur le gouvernement des classes moyennes et ouvrières en Angleterre, et de l’autre ce que M. Gladstone et ses amis n’ont pas craint d’appeler la crise irlandaise. Nous sortirions de notre sujet, si nous voulions indiquer comment la pensée qui dirige les affaires publiques en Angleterre s’est modifiée sous l’empire de ces nouvelles influences et en apprécier l’effet : il nous suffira de dire que ce changement a été pour l’Irlande une bienfaisante révolution. Il nous faut au contraire montrer pourquoi la crise actuelle de l’Irlande est particulièrement