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criminel, qu’avec le concours des jurés (jurati assessores). Les affaires allaient en appel d’abord à la cour royale, puis à la cour septemvirale. Le fiscal et son substitut remplissaient les fonctions de ministère public. Le notaire suprême et le sous-notaire tenaient les procès-verbaux et les correspondances. C’étaient eux en somme qui, avec leurs employés, expédiaient toute la besogne administrative. La perception des impôts et les dépenses publiques étaient confiées à des receveurs-généraux et à des caissiers élus également par l’assemblée générale. Celle-ci n’avait pas le droit d’opposer son veto à une loi votée par la diète, mais elle en prenait connaissance, et comme il fallait recourir aux magistrats provinciaux pour lui donner force exécutive, si l’opinion était hostile à la loi nouvelle, celle-ci demeurait lettre morte. Quant aux rescrits et ordonnances du souverain, le comitat a toujours exercé le droit d’en discuter la légalité, et quand il les jugeait contraires aux lois, ce qui arrivait inévitablement lorsqu’il ne les approuvait pas, il présentait ses observations au roi, et en attendant se refusait à les appliquer. En réalité, le pouvoir central, n’ayant pas de fonctionnaires à lui dans les provinces, ne parvenait à se faire obéir que quand il était appuyé par la majorité. Les comitats se communiquaient leurs résolutions, leurs projets de réforme, leurs griefs contre le gouvernement, et formaient ainsi une opinion publique toujours en éveil, toujours prête à repousser la moindre atteinte aux droits héréditaires de la nation[1]. Dans les réunions trimestrielles, les nobles

  1. Je citerai comme exemple des remontrances que ces assemblées provinciales adressaient au souverain un extrait de celles qui furent adoptées en 1793 par les comitats d’Abaujvár et de Bihár lorsque le gouvernement voulut entraver la liberté de la presse. Ces considérations, rédigées en latin, il y a près d’un siècle, au pied des Karpathes, forment un piquant contraste avec les discours que l’on entend aujourd’hui. « Oui, sire, dit la congrégation d’Abaujvár, nous voyons dans l’édit récent une atteinte à la liberté de la presse, que nous considérons, avec la grande majorité de notre nation et avec les hommes les plus éclairés de l’Europe, comme la seule garantie de la liberté politique et civile ; mais, puisqu’il faut démontrer une fois de plus que cette liberté fait partie intégrante de notre constitution, qu’il nous soit permis de rappeler que récemment les états du royaume ont chargé une commission de faire un travail pour perfectionner le système de l’éducation nationale et de la publicité. Comment se peut-il qu’aujourd’hui encore, à la fin du XVIIIe siècle, il nous faille élever la voix pour défendre cette précieuse liberté ? Les raisons qu’on peut faire valoir en sa faveur ne sont-elles pas connues de tout le monde ? Si l’on veut savoir ce que le genre humain doit à l’imprimerie et à la liberté de la presse, que l’on considère ce que furent les peuples jadis et ce qu’ils sont aujourd’hui. Si l’Angleterre peut encore se glorifier de sa liberté, si le Danemark et la Suède renaissent et marchent à pas rapides dans la voie de la civilisation, si l’Allemagne est devenue le foyer de la philosophie, des sciences et des arts, si la Saxe prospère, si les états de l’Amérique du Nord offrent le modèle de la meilleure organisation civile et politique, et si d’un autre côté les Orientaux, nos voisins, sont encore livrés à une barbarie indigne de l’humanité, si, privés des bienfaits de la civilisation, ils rampent sous un despotisme avilissant, c’est que les uns ont joui de la liberté de la presse et des lumières qui en résultent, tandis, que les autres, en la repoussant, ont amené la triste situation où ils se trouvent. » La congrégation de Bihár, après des observations du même genre, invoque, comme toujours en Hongrie, le droit historique. « Non-seulement on ne voit dans nos lois aucune trace du droit que pourrait avoir l’autorité royale de réglementer ce qui concerne l’imprimerie, mais au contraire l’article 24 de l’année 1553 porte clairement que le roi doit recourir aux états pour soumettre l’imprimerie à certaines règles, et que les états du royaume doivent eux-mêmes maintenir la liberté de la presse. » Il faut avouer qu’un pays qui peut invoquer en faveur de cette liberté tant contestée une loi du XVIe siècle jouit d’un avantage peu commun. Les extraits que nous venons de citer suffisent pour faire connaître cet esprit politique de la Hongrie, où l’amour de la liberté et le goût de l’opposition s’appuient sur le culte des précédens.