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tentatives de compression qui rappelleraient celles qui ont suivi 1850.

La puissance du roi a toujours été en Hongrie strictement limitée par les capitulations qu’on lui imposait lors de son avènement. Ces actes, qui formaient la constitution du pays, ont été recueillis par un jurisconsulte fameux du XVIe siècle, Verböczi, dans un ouvrage encore souvent invoqué aujourd’hui, le Jus tripartitum. La liberté individuelle était garantie : nul ne pouvait être arrêté, sauf le cas de flagrant délit, à moins d’avoir été cité régulièrement et condamné par le juge, nisi primo citatus et ordine judiciario convictus ; c’était exactement le fameux habeas corpus des Anglais. Le droit de paix et de guerre, que la révolution française voulait réserver aux chambres, comme vient de le montrer M. Marc Dufraisse dans un livre écrit avec savoir et talent, le souverain ne pouvait l’exercer en Hongrie que du consentement de la diète ; il est vrai que d’ordinaire les rois parvenaient à s’en passer. Le principe de la responsabilité des agens du pouvoir, cette garantie essentielle des droits du citoyen, auquel en Angleterre on attache tant de prix et dont aucun régime n’a jamais songé à doter la France, était consacré par la loi hongroise. « Sa majesté le roi est tenu de répondre devant la justice ordinaire de tout dommage illégalement occasionné par ses agens. »

Aujourd’hui encore on a vu des ministres contester aux chambres le droit de refuser les subsides et revendiquer pour le souverain celui de lever des impôts non votés. C’est ce que les Hongrois n’ont admis en aucun temps. Jamais ils n’ont consenti à ce que la couronne perçût aucun revenu qui ne fût pas accordé par la diète. Les lois à ce sujet étaient si rigoureuses que quiconque donnait au souverain la moindre somme était déclaré infâme, parjure et déchu de ses droits[1]. Cette sévérité avait pour but de contraindre le roi à s’adresser aux chambres, et de le placer dans la dépendance de celles-ci par ses besoins d’argent. Je ne crois pas que la législation d’aucun peuple contienne un acte de défiance aussi dur envers la royauté.

Comme garantie à toutes ces précautions se trouvait inscrit dans les lois avec une incroyable précision ce droit redoutable, dernière ressource des peuples opprimés, qui a été exercé plus souvent que

  1. Le voyageur anglais Townson, qui parcourait la Hongrie en 1793 et qui a écrit ses observations en trois volumes des plus intéressans, cite un exemple vraiment incroyable de l’application de ces lois. Dans les pressans besoins de la guerre de 1794, deux nobles avaient ouvert une souscription pour venir en aide a leur souverain l’empereur et roi. Ils furent dégradés et déclarés infâmes en vertu d’un article de la loi de 1504 reproduisant une autre loi de 1222 qui portait : « Quiconque offre au roi, sous quelque prétexte que ce soit, une contribution ou subside, contrairement aux antiques libertés du royaume, sera déchu de la noblesse en punition de son parjure. »