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aspirent à s’unir à leurs frères des provinces turques. Cette espérance, rien ne pourra l’arracher de leur cœur, et elle finira par se réaliser, comme se réalise tout ce qu’un peuple veut avec passion et persévérance. Puisque l’union des Slaves du sud est inévitable, qu’elle s’accomplisse du moins non malgré les Hongrois, mais par leur concours ; que la future nationalité leur soit reconnaissante, non ennemie. Jusqu’à ce jour, les Magyars ont fait précisément le contraire de ce que commande leur évident intérêt : ils se sont elïorcés de se séparer des Allemands et de comprimer les Slaves. C’est manifestement préparer leur ruine.

Il y a en Hongrie trois partis. Ce qui les divise, c’est le point de savoir par quels liens la Hongrie sera unie à l’Autriche. Le parti modéré, guidé par Deák, Eötvös et Andrássy, défend l’union telle qu’elle est établie maintenant. Le parti avancé, qui a pour chefs Tisza et Ghiczy, n’admet que l’union personnelle, mais il déclare qu’il ne poursuivra son but que par la voie constitutionnelle. Enfin le parti extrême, qui se rallie au nom de Kossuth, veut que la Hongrie se sépare complètement de l’Autriche, et que, s’ unissant aux Valaques, aux Serbes et aux Bulgares, elle constitue la confédération danubienne. Le premier de ces partis a pour lui tous les hommes capables d’apprécier la situation actuelle, car il est très clair qu’il est le seul qui puisse sauver la Hongrie d’une nouvelle convulsion où elle aurait tout à perdre et rien à gagner ; mais le parti extrême a pour lui deux sentimens dont il est difficile d’apprécier toute l’énergie, la haine de l’Autrichien et l’instinct démocratique. Aucun de ces partis ne veut ou du moins n’ose dire qu’il veuille d’une union fédérale avec les Allemands. Cependant les Hongrois ont plus besoin des Allemands que les Allemands des Hongrois. Si l’empire venait à se démembrer, les Allemands ont à qui se rattacher ; les Hongrois seraient livrés seuls aux Valaques et aux Slaves avant d’avoir pu faire oublier à ceux-ci d’anciennes et mortelles rancunes.

La seconde partie du programme de Kossuth[1] est juste. Oui, la Hongrie doit se rattacher toutes les provinces qui étaient jadis unies sous le sceptre des d’Anjou et des Hunyade. L’histoire ici est l’expression d’une nécessité géographique et d’un grand intérêt européen ; mais ce n’est point par la conquête qu’elle peut commander aujourd’hui sur le Danube, c’est par la libre adhésion des

  1. Kossuth, ayant été élu à Funfkirchen, a refusé d’occuper son siège, quoique la diète ait validé son élection. Dans les circonstances difficiles où se trouve la Hongrie, à peine échappée d’un long asservissement, l’attitude factieuse de l’ancien dictateur est très regrettable. Quand on a la liberté pour faire prévaloir ses opinions, tout appel à la force est coupable.