Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/562

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœur, que je connaissais trop de plantes, que rien ne pouvait plus me surprendre ni m’intéresser, et que la science refroidissait.

Aviez-vous raison ?

Moi je disais intérieurement : Je sais que l’étude enflamme.

Avais-je tort ?

Nous avions là-bas trop de soleil sur la tête et trop de cailloux sous les pieds pour causer. Maintenant à tête et à pieds reposés causons.

La science… Qu’est-ce que la science ? Une route partant du connu pour se perdre dans l’inconnu. Les efforts des savans ont ouvert cette route, ils en ont rendu les abords faciles, les aspérités praticables ; ils ne pouvaient rien faire de plus, ils n’ont rien fait de plus ; ils n’ont pas dégagé l’inconnue, ce terme insaisissable qui semble reculer à mesure que l’explorateur avance, ce terme qui est le grand mystère, la source de la vie.

On peut étudier avec progrès continuel le fonctionnement de la vie chez tous les êtres : travail d’observation et de constatation très utile, très intéressant. Dès qu’on cherche à saisir l’opération qui fait la vie, on tombe forcément dans l’hypothèse, et les hypothèses des savans sont généralement froides.

Pourquoi, me direz-vous, une étude que vous trouvez ardente et pleine de passion conduit-elle à des conclusions glacées ? Je ne sais pas ; peut-être, à force de développer minutieusement les hautes énergies de. la patience, l’examen devient-il une faculté trop prépondérante dans l’équilibre intellectuel, par conséquent une infirmité relative. Le besoin de conclure se fait sentir, absolu, impérieux, après une longue série de recherches ; on fait la synthèse des millions d’analyses qu’on a menées à bien, et on prend cette synthèse, qui n’est qu’un travail humain tout personnel, plus ou moins ingénieux, pour une vérité démontrée, pour une révélation de la nature. Le savant a marché lentement, il a mesuré chacun de ses pas, il a noblement sacrifié l’émotion à l’attention ; car c’est un respectable esprit que celui du vrai savant, c’est une âme toute faite de conscience et de scrupule. C’est le buveur d’eau pure qui se défend de la liqueur d’enthousiasme que distille la nature par tous ses pores, liqueur capiteuse qui enivre le poète et l’égaré. — Mais le poète est fait pour s’égarer, son chemin, à lui, c’est l’absence de chemin. Il coupe à travers tout, et, s’il ne trouve pas le positif de la science, il trouve le vrai de la peinture et du sentiment. Tel est un naturaliste de fantaisie qu’on doit cependant élever au rang de prêtre de la nature, parce qu’il l’a comprise, sentie et chantée sous l’aspect qui la fait voir et chérir avec enthousiasme.