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l’attention de l’observateur sur ce changement de formes, de couleurs et de fonctions. Fort bien. Le passage du pétale à l’étamine saute aux yeux dans le nénufar, comme dans la rose des jardins le passage de l’étamine au pétale. Dans le nénufar, la nature travaille elle-même à son perfectionnement normal ; dans la rose, elle subit le travail inverse que lui impose la culture pour arriver à un perfectionnement de convention ; mais, de grâce, avec quoi, dans l’un et l’autre cas, la fleur arriverait-elle à se faire féconde ou stérile ? Et, dans tout être organisé, animal ou plante, de quoi se forment l’organisation et la désorganisation, sinon de la propre substance, enrichie ou égarée, de l’individu ?

Cette simple observation a fait trop de bruit dans la science et a produit une doctrine que voici : la plante serait un pauvre être soumis à d’étranges fatalités ; elle ne serait en état de santé normale qu’à l’état inerte. Reste à savoir quel est le savant qui surprendra ce moment d’inertie dans la nature organisée ! Mais continuons. Du moment que la plante croît et se développe, elle entre dans une série continue d’avortemens. Le pétiole est un avortement de la tige, la feuille un avortement du pétiole ; ainsi du calice, du périanthe et des organes de la reproduction. Tous ces avortemens sont maladifs, n’en doutons pas, car la floraison est le dernier, c’est la maladie mortelle. Les feuilles devenues pétales se décolorent ; oui, la science, hélas ! parle ainsi. Ces brillantes livrées de noces, la pourpre de l’adonis, l’azur du myosotis, décoloration, maladie, signe de mort, agonie, décomposition ; la fécondation, heure suprême, mort.

Tel est l’arrêt de la science. Elle appelle sans doute mort le travail de la gestation, puisqu’elle appelle maladie mortelle le travail de la fécondation. Il n’y a pas à dire : si jusque-là tout est avortement, atrophie, efforts trompés, le rôle de la vie est fini au moment où la vie se complète. La nature est une cruelle insensée qui ne peut procéder que par un enchaînement de fausses expériences et de vaines tentatives. Elle développe à seule fin de déformer, de mutiler, d’anéantir ; toutes les richesses qu’elle nous présente sont des appauvrissemens successifs. La plante veut se former en boutons, elle vole la substance de son pédoncule pour se faire un calice dont les pétales vont devenir les voleurs à leur tour, et ainsi de suite jusqu’aux organes, qui sont apparemment des monstruosités, et que la mort va justement punir, puisqu’ils sont le résultat d’un enchaînement de crimes.

Pauvres fleurs ! qui croirait que votre adorable beauté ait pu inspirer une doctrine aussi triste, aussi amère, aussi féroce ?

Rassurons-nous. Tout cela, ce sont des mots. Les mots, hélas ! words, words, words ! quel rôle insensé et déplorable ils jouent