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logique de l’œil rétablit, le frappaient particulièrement. « Les plantes d’herbier, disait-il, c’est la grâce dans la mort. »

Chacun a son procédé pour conserver la plante sans la déformer. Le plus simple, est le meilleur. Jetée et non posée dans le papier qui doit boire son suc, rétablie par le souffle dans son attitude naturelle, si elle l’a perdue en tombant sur ce lit mortuaire, elle doit être convenablement comprimée, mais jamais jusqu’à produire l’écrasement. Il faut renouveler tous les jours les couches de papier qui l’isolent, sans ouvrir le feuillet qui la contient. Le moindre dérangement gâte sa pose, tant qu’elle colle à son linceul. Au bout de quelques jours, pour la plupart des espèces, la dessiccation est opérée. Les plantes grasses demandent plus de pression, plus de temps et plus de soins, sans jamais donner de résultats bien satisfaisans. Les orchidées noircissent malgré le repassage au fer chaud, qui est préférable à la presse. Bannissons la presse absolument, elle détruit tout et ne laisse plus la moindre chance à l’analyse déjà si difficile du végétal desséché. Le but de l’herbier doit être de faciliter l’étude des sujets qu’il contient. Le goût des collections est puéril, s’il n’a pas ce but avant tout pour soi et pour les autres.

Mais l’herbier a pour moi une autre importance encore, une importance toute morale et toute de sentiment. C’est le passage d’une vie humaine à travers la nature, c’est le voyage enchanté d’une âme aimante dans le monde aimé de la création. Un herbier bien fait au point de vue de la conservation exhale une odeur particulière, où les senteurs diverses, même les senteurs fétides, se confondent en un parfum comparable à celui du thé le plus exquis. Ce parfum est pour moi comme l’expression de la vie prise dans son ensemble. Les saveurs salutaires des plantes dites officinales, mariées aux acres émanations des plantes vireuses, lesquelles sont probablement tout aussi officinales que les autres, produisent la suavité qui est encore une richesse, une salubrité, une subtile beauté de la nature. Ainsi se perdent dans l’harmonie de l’ensemble les forces trop accusées pour nous de certains détails.

Ainsi de nos souvenirs, où se résument comme un parfum tout un passé composé de tristesse et de joie, de revers et de victoires. Il y a dans cet herbier-là des épines et des poisons : l’ortie, la ronce et la ciguë y figurent ; mais tant de fleurs délicieusement belles et bienfaisantes sont là pour ramener à l’optimisme, qui serait peut-être la plus vraie des philosophies !

La ciguë d’ailleurs,… je l’arrache sans pitié, je l’avoue, parce qu’elle envahit tout et détrône tout quand on la laisse faire ; mais, outre qu’elle est bien belle, elle est une plante historique. Son nom est à jamais lié au divin poème du Phédon, Les chrétiens ne