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vieille rivale, et Gentz rend à l’état de Frédéric II ce glorieux hommage : « Il y a longtemps que j’observe avec une muette admiration les énormes progrès dans le bien que la Prusse a faits depuis trois ou quatre ans. Il ne manque à cet état que d’être catholique pour être avec nous le plus solide appui du monde. »

Il manque à la Prusse d’être catholique ! Ce regret n’est-il pas étrange de la part d’un Prussien protestant ? Il prouve après tout à l’honneur de Gentz qu’il était, avec toute sa légèreté, trop accoutumé à chercher la liaison des idées et de la politique pour se contenter de celle qui suffisait à M. de Metternich, politique toute simple et sans mystère, qui se réduisait à ne rien faire, comme si l’inaction n’était pas parfois la plus hasardeuse des politiques. Gentz avait besoin d’adosser la sienne à un système, et, quoique l’Allemagne fût aussi riche que pays du monde en fait de systèmes, c’est à la France, c’est à MM. de Bonald et de Maistre qu’il emprunte sa théorie de la restauration. Comme il suivait avec la plus vive curiosité la presse française de tous les partis, il remarque lui-même ce fait singulier que le pays où le mal a ses organes les plus déterminés est aussi celui où le bien a ses avocats les plus puissans. En effet c’est la France qui a donné la philosophie de la révolution ; c’est aussi en France que la théorie de la restauration, théorie chimérique à coup sûr, mais subtile et profonde, a reçu entre les mains de M. de Bonald, de M. de Maistre et de beaucoup d’autres sa forme la plus magistrale. Ces théoriciens ont-ils pris tout à fait au sérieux les idées qu’ils exprimaient d’un ton si absolu, ont-ils pensé que la politique eût pour but et pût concevoir l’espérance de les réaliser ? Il est permis, sans leur faire injure, d’en douter un peu ; quelle que fût leur sincérité, il y a du procédé littéraire, il y a de l’emportement d’imagination, il y a du plaisir d’étonner dans ces bravades jetées à l’esprit moderne, dans ces paradoxes si intrépidement soutenus. M. de Maistre, pour ne citer que le plus illustre, est le Proudhon de la politique rétrograde. Gentz se nourrit de ces nouveaux sophistes, et paraît entièrement dupe de leur éloquence ; il y découvre la vraie philosophie, le but vers lequel l’état-major intellectuel que les gouvernemens sont forcés désormais d’entretenir, s’ils veulent durer, doit diriger l’opinion publique. Le livre du Pape le jette dans l’enthousiasme ; c’est le plus sublime et le plus important ouvrage qui ait paru depuis un demi-siècle, bien que ce ne soit pas un aliment destiné aux âmes tièdes et aux intelligences critiques ; l’auteur, plus éloquent que Burke, plus pénétrant que Montesquieu, mériterait qu’on lui élevât une statue dans une des premières églises de Rome et que les rois se disputassent l’honneur de l’attirer près d’eux. « Non, je le crois fermement à cette heure, l’église ne périra pas ; qu’une pareille étoile